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Jean-Marie Privat, poète

Jean-Marie Privat, poète

Image de couverture

Pendant qu’elle digitale envoie textos
Ses orteils dansent nus vernis vernis nus
Sous son trône d’un moment siège de tram
Elle pianote joliment ses jtm
Sur le bout des doigts ses ongles papillonnent
Rose et noir noir et rose aux mains aux pieds
Gracieuse et concentrée tkt lol dsl
Elle envoie ses textos comme des bulles des baisers
En traversant le paysage de printemps
Les arbres en fleur pommiers pêchers
Peuplés de turques tourterelles
Voie royale vers quel paradis
Est-ce aimer est-ce fragiles abeilles
Émue remuée jusqu’aux orteils.

Valérie Rouzeau, Vrouz

Je reçois un jour à Montréal un courriel qui m’annonce que Jean-Marie Privat et Sophie Ménard vont donner ce titre à leur édition des actes des « Quatrièmes Rencontres de l’Ethnocritique et de la Sociocritique1 » : À l’œuvre, l’œuvrier2. Ma première réaction est dubitative et peut se résumer par ce mot québécois exprimant un étonnement inquiet : Ayoye. S’il en est ainsi, c’est parce que le Québec est souvent réfractaire à toute convention de sens établie entre signifiant et signifié3.

Un brillant essayiste indépendantiste, Jean Larose, le meilleur essayiste de la littérature québécoise à mes yeux4, rattachait cette défiance à l’histoire même de la Nouvelle-France, du Canada français et du Québec. La défaite répétée des pères, de bataille en bataille, de révolte en révolte, et plus tard de referendum en referendum, avait eu à ses yeux deux conséquences : leur absence dans la symbolique collective en longue durée et l’incapacité pour les fils de trouver une figure à affronter pour parvenir à s’émanciper et devenir des sujets libres. S’ensuivirent de multiples actes et pratiques cultivant le refuge, l’évitement, le détournement et la compensation : émergence du substitut de la mère phallique; sexualité mal assumée passant par le masque, le déguisement, la surcharge; dévitalisation du politique liée à la crainte de la contradiction et, par suite, au refus de tenir débat5.

À cela s’ajoute un privilège quasi pathologique accordé au signifiant, dont témoignent le nombre effrayant d’imitateurs et d’humoristes au mètre carré, l’existence d’une École de l’humour qui confère des diplômes de comique, la surabondance de calembours et de mots pris de travers (le syndrome du clown Sol), la foire perpétuelle des jeux de mots (y compris ceux de l’Office National de la Langue Française). Certainement discutables, mais dans le meilleur sens du mot (sc. qui suscite du… débat), ces thèses fortes et d’une belle ampleur de vue permettent de comprendre qu’il existe à Montréal une chaîne de restaurants dont le nom est : L’Œufrier. C’est là bien du bruit pour une omelette, sans doute. Mais si je raconte cela, c’est pour expliquer que ma première réaction face au titre À l’œuvre, l’œuvrier a été : « Ayoye, avec un titre comme celui-là, nous allons passer pour des comiques et pour des imitateurs. » Puis, je me suis habitué, je me suis raisonné, le volume allait paraître en France et le lectorat universitaire visé ne dîne pas dans les L’Œufrier. Una cosa tira l’altra, je me suis mis à jouer moi aussi avec les mots. Vu que nous avions travaillé sur des tableaux de peinture, je passai par exemple de À l’œuvre, l’œuvrier à Au Louvres, l’ouvrier, pensant à mes amies zoliennes Sophie Ménard et Véronique Cnockaert. Puis, de fil en aiguille, je me suis mis à penser à tort ou à raison que ce titre, c’était moins du Ménard que du Privat millésimé.

La correspondance que nous avons Jean-Marie et moi depuis pas mal de temps regorge en effet de ce genre de travail stakhanoviste sur le signifiant. Quelques coups de filets dans mes courriels archivés prennent rapidement des airs de pêche miraculeuse. Apocope de l’adverbe (amic/alement), hétérolinguisme (« Amic » égale « ami » et « Oc » égale « Oui » en occitan) et résidu de « langage mythique6» : « Oc! Amic », « Amic Semper ». Ellipse des voyelles dans le prénom de signature avec déhanchement typographique vers la minuscule après la majuscule initiale : « Jm ». Recours ironique au français parlé à la manière de Queneau : « Comme kwa la langue est mal faite. » Néologisme enclin au provignement : « une année non ahanatique7 ». Traduction paronomastique de very much sur base d’un mixage d’anglais courant et de français archaïque : « Nous nous réjouissons very moult de t’accueillir. » Mêlant le temps, l’association et le conte, transcription au son d’une locution adverbiale (« en effet ») avec esperluette intégrée : « Nous sommes an & fée à Rennes. » À l’aide des instruments de la morphologie capables de convertir un substantif en verbe, étude musicale sur la première personne du pluriel au futur corrélant le voyage, le langage et le pain : « Nous bourlinguerons boulangagièrerons boulangerirons. »

Tout cela fleure le bon rire, la franche amitié, l’amour des mots et le vin de Moselle. Le titre À l’œuvre, l’œuvrier fait flèche du même bois. Répétition, provignement, néologisme, calembour, paronomase implicite (ouvrier/œuvrier) sont les renseignements fournis par son passeport rhétorique, lequel affirme que le jeu avec les signes est ici aussi sérieux que rieur. L’expression offre en effet un condensé performatif où la jovialité de la création n’annule aucunement l’objet de la pensée à telles fins qu’elle met en mouvement le sens dans des directions précises : elle implique une conception du critique et/ou du créateur comme travailleur ou artisan, assigne à la recherche ethnocriticienne ou sociocriticienne le but de le surprendre en plein travail, comme un ouvrier ou un artisan à la tâche, lui confie la mission de considérer l’objet lui‑même, l’œuvre, comme le produit d’un travail effectué sur une matière.

Le titre du collectif atteste en conséquence que la prose critique est et sera tout aussi exigeante et entreprenante à l’égard des faits de langue que la prose amicale. Fort de ce premier constat, je m’avisai du fait que cette entreprise du langage, si elle est mise au service d’un partage du rire dans la correspondance privée, est loin de se limiter à elle. De semblables performances sont en effet semées dans les travaux scientifiques de l’ami Jean-Marie.

À une réflexion d’Alice Delmotte-Halter relative à la mainmise de l’État‑Nation sur toute hétérodoxie culturelle « sous couvert de science », laquelle réflexion la conduit à demander à son interlocuteur si cette mainmise n’était pas « en somme […] le pouvoir-savoir dont parlait [Michel] Foucault », Jean-Marie de répondre, après avoir parlé du pouvoir de l’Église en ce domaine, par ces mots : « […] les agents des appareils idéologiques […], pour parler comme Althusser, baignaient eux-mêmes dans une pensée analogique ou même magique (ou mythico-poétique et religieuse) qui les rendait ambivalents face à l’emprise de faits/fées » (cité dans Delmotte-Halter, 2014 : 276-2778). Ce qui est mobilisé à la clausule de cette réponse, c’est une figure de rhétorique très utilisée en poésie, particulièrement par les symbolistes, par des poètes portés vers l’écoute des voix, dont le plus grand fut Arthur Rimbaud, et par des courants formalistes comme Tel Quel ou, au Québec, Les herbes rouges. Il s’agit d’un métagramme, c’est-à-dire d’une variante de la paronomase, laquelle procède de l’établissement d’un arc sémantique (comme on dit arc électrique) entre différence et ressemblance. Dans un métagramme, seul un élément porte tout le poids de la différence et il le fait au même endroit; il s’agit en l’occurrence de l’aperture vocalique qui distingue l’accent aigu et l’accent grave, augmentée cependant par la durée variable de l’élocution.

Ce qu’il y a d’intéressant, c’est que cette façon de faire garde cette différence au niveau du signifiant pour mieux l’annuler au niveau du signifié en sorte de laisser comprendre que ce qui est donné par l’État et ses moyens de gestion des esprits pour des faits, c’est-à-dire des « significations imaginaires instituées » (Castoriadis) données pour intangibles, scientifiques, historiques (etc.), n’est en fait pas plus véridique ou pas plus parole d’évangile qu’un conte (de fées).

À partir de repères semblables, poser l’hypothèse d’un « Jean-Marie Privat, poète » est parfaitement légitime. Ceci ne veut pas dire que je vais m’intéresser aux citations de chansons rimées, de poésie populaire ou de poètes consacrés comme Ovide qui figurent dans ses essais, ni non plus particulièrement aux quelques études qu’il a consacrées à des textes de poésie (de Blaise Cendrars par exemple). Non, ce que j’entends par là – et ce que je viens déjà de concrétiser dans les paragraphes qui précèdent –, c’est qu'il est une présence de la poésie, entendue comme pratique langagière, dans la pensée théorique et critique de Jean-Marie, et quand je dis dans la pensée, je veux dire dans l’écriture, dans la scripturalité jean-mariesque. Ce qui suit met en exergue quelques aspects forts de cette présence.

 

De la musicalité des textes à la musique du commentaire

L’écoute de la langue qui caractérise la prose de Jean-Marie est tout particulièrement spectaculaire dans le quatrième chapitre, « Un texte bruyant », de Bovary Charivari (1994). Après avoir épinglé les « bruits référentiels » qui sonorisent l’intrigue romanesque du roman flaubertien (cris d’enfants, bruits de cailloux percutant des portes, bruits de charrette, de pilon, de sabots et de pas, clochettes, trompettes, violons, chants, silences, etc.), l’analyse – qui anticipe les sound’s studies actuelles – passe à l’examen des bruits du texte et exonde trois de ses courants porteurs : une théâtralisation du charivari (dont l’entrée au collège de Charles est la première scène), la dissémination d’une cacophonie spectaculaire dans l’ensemble du roman et « [q]uelques fines textualisations charivariques », lesquelles consistent en « hiatus discursifs et sémantiques » (Bonnefis, cité dans Privat, 1994 : 262), en ruptures grammaticales, clausules sonores, stridences phonétiques, calembours masqués, jeux sur l’onomastique, discordances phoniques et dissonances lexicales. Et c’est dans cette lecture très brillamment universitaire, avec les effets de saturation et les codes professionnels que cela suppose, que se rencontrent ici et là des éclats de poème à la hauteur de celui-ci : « Des dissonances lexicales/battent un texte déhanché9. » Le rythme est au cœur de cette phrase qui est d’ailleurs moins une phrase qu’un duo de vers octosyllabiques mis bout à bout, lequel duo marque une pose dans la suite furieuse des observations savantes. Qu’est-ce qu’un texte déhanché? Comment des dissonances, lexicales de surcroît, pourraient-elles battre un texte? Un premier niveau de lecture donne à comprendre ceci. En fait, « déhanché » est là, à cause de la situation du pauvre Hippolyte, victime double d’Auguste Comte et de Charles, un médecin malgré lui. Quant au verbe « battre », il est là parce qu’Emma a quelquefois envie de battre Charles, et quelques autres personnages d’ailleurs. Soit. Mais « Des dissonances lexicales battent un texte déhanché », cela dit aussi autre chose, qui est en dehors de l’intrigue. La collision entre les mots savants – dissonances, lexicales, texte – et les mots qui impliquent une action du corps ou sur le corps – battent, déhanché –, et le groove contre-charivarique (car très équilibré) du rythme de la séquence sont fondamentaux. Car il y a toujours du physique, du corporel, du sensitif dans les écrits de Jean-Marie, comme il y en a toujours, avec insistance, dans ses séminaires et ses conférences.

 

L’invention de la rime conceptuelle

Elle apparaît par exemple dans ce descriptif d’intention logé dans un passage d’un texte intitulé « “Le chapeau de l’arpenteur”. Polylogie, dialogie, hétérophonie ». Entée sur une construction hybride bakhtinienne observée dans l’incipit de La Terre d’Émile Zola, l’étude se donne le but de montrer « combien les marqueurs historiques d’espace et de temps sont des marqueurs particulièrement intéressants d’une construction langagière qui à la fois bride, hybride et débride son univers imaginaire » (Privat, 2017 : 48). Cette rime riche en « bride » entraîne une lecture de l’hybridité d’un énoncé qui la projette sur une antithèse contrainte-libération, laquelle s’indexe sur une série de duos antagoniques : pouvoir-liberté, coutume-nouveauté, espace savant-perception indigène, tradition‑modernité, oralité-scripturalité. Une autre ressource rhétorique court au même but, l’anadiplose, dont voici deux exemples, le premier tiré du même texte : « Mais la modernité, c’est l’écriture. Et l’écriture, c’est le pouvoir. » (Privat, 2017 : 59), le second d’une étude sur Paul et Virginie : « […] la scripturalité serait l’immoralité, et la moralité l’oralité », où la redondance rimique d’« oralité » performe l’idée même d’une parole orale, paradoxalement toujours transmise sous la forme d’une parole écrite.

 

L’étoilement matriciel du signifiant [charivari]

Au tiers du grand essai sur Madame Bovary figure cette affirmation : « Le terme “charivari” est très polysémique. » (Privat, 1994 : 92) Tout le volume en fait la démonstration jusqu’à conduire à penser le roman de Flaubert comme le développement coast to coast du signifiant [charivari]. Étudié selon les principes d’une logique de la découverte, le romanesque s’étend d’une « pré-orchestration charivarique » (scène de l’incipit) à sa conclusion mortifère (la mort d’Emma et le chagrin de Charles, prénom dont la première syllabe est la même que celle du mot « charivari »). Mutatis mutandis, le signe [charivari] joue ici le même rôle opératoire que le noyau sociogrammatique conflictuel chez Duchet en ce sens que gravite autour de lui une constellation de mots, d’expressions, de représentations partielles, mais aussi de sèmes et de connotations qu’il engrène et fédère. Au cœur de l’interprétation du dispositif flaubertien rayonne ainsi un étoilement matriciel du signifiant qui lui accorde un pouvoir catalyseur énorme. Or, vu de cette manière, l’essai se range du côté de la performativité poétique, ce qui peut se soutenir en prenant appui sur la sémiotique de la poésie de Michael Riffaterre (1983 et 1989). Ce dernier appelait « mot-nucleus » ou « matrice poétique » un signe linguistique ou un syntagme discret10, dont les sèmes sont mobilisés et exploités selon un principe d’accumulation isotopique. Riffaterre notait aussi l’importance du néologisme dans l’écriture poétique : l’œuvrier est un néologisme.

 

L’étoilement lyrique du signifiant [folklore]

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« Alphabets », [s.a.], [s.d.]. Image libre de droits.

Cet étoilement du signifiant peut aussi prendre la forme d’une expansion lyrique. Tel est le cas du signe [folklore]. Jean-Marie s’est compréhensiblement éjoui de voir que « la folkloristique contemporaine s’intéresse […] tant à la culture verbale qu’à la culture matérielle » (cité dans Delmotte-Halter, 2014 : 28211) (et qu’elle ne se limite pas à la « littérature populaire »). Mais voici que, sous sa plume et son verbe, le folklore, d’abord défini par sa dissidence à l’égard des pratiques créatrices adoubées par l’enseignement et le marché éditorial, puis célébré pour son insoumission ou sa distinction à l’égard des normes imposées de la correction et du goût, se voit étendu jusqu’à devenir l’alpha et l’omega de toute culturalité de quelque nature qu’elle soit. Bien plus, le folklore est bientôt l’objet d’une individuation universelle qui fut jadis l’apanage et l’honneur des romantiques – chez lesquels le cœur solitaire ne battait jamais qu’au diapason d’un chœur nombrable. « Comme une dissidence à soi-même ou une dissonance de soi à soi… il y aurait toujours quelque folklore en nous? » s’étonne et jubile Alice Delmotte-Halter. « Ah oui, j’espère bien! » répond Jean-Marie. Et de rêver illico un « folklore du mistral ou même le folklore de tel moineau », leurs sifflements à tous deux frondant le pouvoir, et d’imaginer « [p]as seulement le folklore de l’eau mais l’eau qui fait son folklore », « [p]as seulement le folklore de la pomme de terre, mais les remarques amusées et exclamatives sur les bizarreries de ses formes lors de sa récolte manuelle », le folklore d’une « ligne de crête qui mime un dos de dragon ou ressemble à une vieille femme couchée ».

Et Jean-Marie, intarissable, de créer un néologisme sémantique quand il parle de « l’empoétisation du monde ». Il donne en effet au mot « empoétisation » un sens différent du sens péjoratif que ses premiers utilisateurs lui donnèrent12. Chez lui, il désigne soit une disposition esthétique et un ton choisis pour exprimer une relation à l’environnement qui se situe émotivement sur le spectre large qui va de l’euphorie à la satisfaction en passant par le contentement admiratif13, soit l’intériorisation sensible, empathique ou érotique, de ce rapport au monde. Non seulement le « folklore » conglomère ces deux possibilités, mais il s’illumine du soleil de la transgression et de la révolte, et si bien qu’il semble jouer le rôle que jouait jadis l’avant-garde du prolétariat dans l’évolution de la lutte des classes : un rôle révolutionnaire. Il s’avère un acte de résistance multiforme, qui « s’incarne dans les façons journalières de parler haut dans un entre soi fugitif et labile, dans l’improvisation joyeuse d’une gestualité amicale et bruyante, dans le rire sonore et joyeux de trois jeunes filles dans [une] rue passante qui une seconde leur appartient ».

Si cette dernière image n’en est pas, alors je ne sais pas ce que c’est que la poésie lyrique. Partant de là, nul ne s’étonnera de ceci : « Bachelard, les poètes phénoménologiques et les amoureux de la nature sont attentifs à des folklores inouïs qui appartiennent au chant du monde. » (Privat, cité dans Delmotte-Halter, 2014 : 297) À tout lecteur de poésie, il appert de ces propos que la pensée de Jean-Marie rejoint en ses fondations le « nouveau lyrisme » qui, dans les années 1990-2000, remplace les expériences formalistes et théoriques menées dans et sur la poésie dans les années 1960-1970 sous la gouverne de Tel Quel, de Change et de TXT. Après une phase d’émergence quelque peu trouble dans les années 1980, ce « nouveau lyrisme » vient à maturité14 et, loin des effusions et des exaltations d’autrefois, s’offre comme un « lyrisme critique15 » qui a les caractéristiques suivantes. Le sujet lyrique n’existe que par l’entremise d’un rapport dynamique entre lui et le « monde ». Il équilibre les aller-retour entre extériorisation du moi et intériorisation de l’environnement.

C’est dans cette instabilité raisonnée qu’il cherche un accord musical et productif entre l’autre et lui, quête qui est en soi un acte de com/préhension (prendre avec soi). Évocatoire, mais toujours concret, le « chant du monde », à la fois recueilli et composé, dérive d’une « expérience sensible16 ». Ce lyrisme critique s’attache aux choses menues, à la quotidienneté, aux objets, ainsi qu’aux affects fondamentaux de l’être humain (joie, tristesse, colère, peur, etc.). Il ne néglige pas le sublime sous réserve qu’il résulte d’un mouvement hors de soi (é/motion) et entretient ces domaines de prédilection : le paysage, l’horizon, la montagne17. Les lieux sont en conséquence privilégiés, et traités à partir de leur extériorité réelle, de la résonance subjective qu’ils engendrent et des signes langagiers et plastiques qui les décrivent. Chaque œuvre relevant de cet esprit offre à sa façon une articulation féconde entre la constitution d’un sujet lyrique extroverti, l’interaction de ce sujet avec le monde alentour et l’accomplissement d’un travail sur le langage conséquent.

 

Les derniers feux de l’idylle

Enfin, il faudrait aussi placer sous la bannière de la sollicitation poétique des énoncés l’attention portée par Jean-Marie aux derniers feux et refuges de l’idylle. C’était déjà le cas pour cette malheureuse chercheuse d’idylles passionnées que fut Emma Bovary. Ce l’est plus encore dans les travaux récents sur Paul et Virginie18 qu’Emma Rouault avait d’ailleurs lu19.

Dans leur île, Paul et Virginie vivent un amour d’une pureté transcendantale entouré d’une microsociété « sans État, sans bureaucratie », sans « papier d’identité ni actes administratifs de naissance et autres écritures ». À la scripturalité et au totalitarisme de la culture graphique s’oppose une « oralité augurale et inaugurale du monde ». Cette culture graphique, raisonnante, mesurante, a « quelque chose de morne et de végétatif au regard de l’érotisme génésique doux et latent de la filiation et de l’alliance en la prime jeunesse de la culture orale ». La phrase suivante « Ainsi se passa leur enfance, comme une belle aube qui annonce un plus beau jour » est donnée comme la trace d’une « empoétisation » qui est aux antipodes de « la pensée analytique », Bernardin de Saint-Pierre aurait sans doute dit « aux antipodes de la science ».

Et l’étude de mettre en évidence le fait que, dans le roman, « [l]’écrit fait […] irruption, une irruption brutale et fatale ». C’est en effet une lettre qui appelle Virginie à Paris. Elle y va bientôt dépérir, victime d’une « acculturation/déculturation forcée et forcenée » et d’une « raison graphique » déraisonnable, pareille à « une prison ». Le roman s’avère « le tombeau littéraire et historique et anthropologique du monde de Virginie », dont il ne serait pas fou de soutenir qu’elle fut en quelque sorte vengée par le mouvement hippie et les disciples de Walt Whitman presque deux siècles plus tard. Cette lecture jean-mariesque de Paul et Virginie s’inscrit dans une longue tradition critique où elle rencontre la contradiction et de sains débats. En voici quelques semailles.

Que le roman de Bernardin de Saint-Pierre soit considéré comme le « révélateur d’un désenchantement de la culture moderne » est paradoxal dans la mesure où la modernité repose sur le sentiment ou le diagnostic d’un profond désenchantement du monde, l’expression « Dieu est mort » ayant été dite par Hegel bien avant Nietzche20. Les utopies du premier XIXe siècle, les créations de petits groupes de toutes sortes pour pallier l’écart entre l’individu et le « gros animal » (Simone Weil), c’est-à-dire l’État-nation, sans omettre les innombrables rêves d’une troisième révélation qui serait apportée par une improbable Vierge-Mère, sont entre autres des réactions et des baumes contre ledit désenchantement. Bernardin de Saint-Pierre soutint d’ailleurs à la fin du XVIIIe siècle le projet d’une nouvelle religion, la « théophilanthropie », qui se définissait comme naturelle et fortement morale, et capable de remplacer le catholicisme ou, à tout le moins, de l’affaiblir21. Ce que ceci indique par rétroaction, c’est que l’idylle insulaire n’est pas à l’extérieur de la « culture moderne », elle en fait partie, sauf à considérer que la modernité serait monologique et monovectorielle, ce qui serait difficile à défendre.

Dans le même ordre d’idées, il est délicat d’avancer que Paul et Virginie vivent loin de tout écrit. En fait, ils vivent en contact partiel mais constant avec l’Écriture ou Les Écritures avec des É majuscules : « De temps en temps madame de la Tour lisait publiquement quelque histoire touchante de L’ancien ou du Nouveau Testament. Ils raisonnaient peu sur ces livres sacrés; car leur théologie était toute en sentiment, comme celle de la nature, et leur morale toute en action, comme celle de l’Évangile. » (de Saint‑Pierre, 2004 : 147) Dans cette citation se retrouvent les axes de la théophilanthropie : nature et morale, ainsi que le choix de son bréviaire, « l’Évangile » plutôt que la Bible. Tout fidéisme, de quelque nature qu’il soit (religieuse, idéologique ou politique), passe nécessairement par l’écrit. La foi a toujours eu besoin de s’étendre dans le temps et dans l’espace. Cette double nécessité n’est satisfaite que par ce fait sur lequel les historiens (James G. Février, 1995) et les anthropologues (Jack Goody, 1979) n’ont cessé d’insister : l’écriture permet d’atteindre des gens qui sont à distance et de créer, enrichir et entretenir la mémoire de l’humanité.

Une autre objection viserait « le tombeau […] anthropologique » du monde de Virginie. Le problème de ce monde est qu’il est terriblement anthropocentrique, ce qui correspond à l’image de la conception de la relation entre l’être humain et la nature que Bernardin de Saint-Pierre expose dans ses Études de la nature22. Celles-ci soutiennent que la fin de la nature est de servir l’être humain, qu’elle est faite pour lui. D’où un roman qui fourmille d’exemples de ce type : le tronc du papayer porte un « chapiteau de larges feuilles »; « de longues grappes de fleurs blanches […] pendent […] comme les cristaux d’un lustre »; les familles qui habitent le lieu idyllique admirent « avec transport le pouvoir d’une providence qui par leurs mains avait répandu au milieu de ces arides rochers l’abondance, les grâces, les plaisirs purs, simples, toujours renaissants » (de Saint‑Pierre, 2004 : 13823).

Pour Charles Baudelaire, l’innocence, « la pureté et la naïveté absolues » de Virginie, ainsi que son « intelligence » et le fait que, sur les plans sensible et mémoriel, « peu d’images et peu de souvenirs lui suffisent », la protègent de la « civilisation turbulente, débordante et méphitique » de Paris. Tout se serait bien passé si un jour elle n’avait rencontré « innocemment, au Palais-Royal, aux carreaux d’un vitrier, sur une table, dans un lieu public, une caricature! » C’est de la « grosse farce » ou une « charmante et agaçante impureté » ou une « satire insultante » du pouvoir royal ou de la fange de courtisane.

Quoi que ce soit, Virginie est troublée, car « [l]a caricature est double : le dessin et l’idée : le dessin violent, l’idée mordante et voilée; complication d’éléments pénibles pour un esprit naïf, accoutumé à comprendre d’intuition des choses simples comme lui ». Interdite, Virginie « a vu » et « ne comprend guère ni ce que cela veut dire ni à quoi cela sert », mais elle éprouve une sensation nouvelle, ce « malaise » même que les poèmes en prose du Spleen de Paris iront trouver au hasard des rues et des marches. « L’Ange, écrit Baudelaire, a senti que le scandale était là », et en touche finale de constater « la crainte et la souffrance de l’ange immaculé devant la caricature » (2011 : 692-693). La modernité est hybride. Elle conjoint deux vecteurs. Leur inséparabilité lui donne son énergie, ce que Rimbaud appellera dans Une Saison en enfer « la force24 ». L’un est celui du progrès, de la démocratie, de la liberté individuelle, de « l’âme du vin ». L’autre est celui de la violence, de l’égoïsme, du satanique, du « vin de l’assassin ». À celui-là le rire. À celui-ci le rictus, dont la caricature est l’art par excellence. Les chronotypes (le flâneur, le chiffonnier) et le climax du « spleen » rendent compte de cette contention et cherchent à la contenir. Virginie, elle, est en dehors de cette modernité duelle. Non seulement elle est étrangère au monde de la caricature, comme le souligne Baudelaire, mais elle est aussi littéralement abîmée – jetée dans l’abîme25 – par un assaut d’oralité, mais d’une oralité d’un nouveau genre. Avant que les choses ne tournent mal, alors qu’il s’agirait de faire quelque chose, un, deux, trois, puis tout un groupe d’habitants prennent la parole pour donner leur avis sur la situation du Saint-Géran.

Et le narrateur de dire après ce concert de voix discordantes : « Pendant qu’ils contestaient entre eux, suivant la coutume des Créoles oisifs, Paul et moi gardions un profond silence. » (de Saint‑Pierre, 2004 : 219) Cette représentation d’une collectivité de voix caqueteuses et inefficaces est une image négative de démocratie spontanée, comme il en existera beaucoup au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, notamment chez les utopistes. Elle trouve son exact contraire dans la description que fera Michelet du peuple qui fond sur la Bastille galvanisé par l’unique clameur qui sort pareillement de toutes les poitrines26.

 

Un brin de sociocritique pour conclure

Les transferts de musicalité des textes à leur étude, la création de rimes conceptuelles, l’irradiation matricielle ([charivari]) ou lyrique ([folklore]) de signifiants, le désir de débusquer des tensions entre des régimes antagonistes de sens (empoétisation/ensauvagement), la passion de questionner des motifs tel celui de l’idylle, souvent tenus pour des scories résiduelles ou décoratives, à quoi j’aurais pu ajouter l’évidence de la présence d’une voix et une attention manifeste au rythme dans son phrasé, tout cela atteste une convocation soutenue de la poésie et de ses moyens dans l’écriture « scientifique27 » de Jean‑Marie.

J’ai suggéré une première observation destinée à relier ses travaux à l’imaginaire social hexagonal tel qu’il se présente au tournant des XXe et XXIe siècles. Sur le plan de l’écriture, et de la philosophie qui préside à sa conception, existe une compatibilité très forte entre la prose jean-mariesque et le « nouveau lyrisme » des années 1990-2000. Aux traits communs que j’ai indiqués ci-dessus doit s’ajouter la recherche d’une « nouvelle oralité », qui n’a rien à voir avec la plainte romantique (« Ô lac… »). Elle se découvre au fil des vers ou des lignes par des combinaisons de rythmes et de sonorités susceptibles de fonder le propos sur des expériences sensibles du monde, et qui donnent à entendre la chaleur du parler sous la froide couverture des mots. Des poètes comme Jean-Michel Maulpoix, Jean-Claude Pinson ou André Velter ont œuvré en ce sens. Le poème que j’ai placé en exergue de ce texte montre comment Valérie Rouzeau surprend avec malice cette « nouvelle oralité » au plus immédiat de la vie quotidienne. Chez Jean-Marie, l’oralité est à la fois lissée dans sa propre scripturalité et manœuvrée comme un outil herméneutique.

D’aucuns pourraient y voir une schizophrénie inavouable – quoique répandue – de l’homo academicus. Mais la « polémique larvaire » (Bakhtine) entre différentes lectures de Paul et Virginie, et dont j’ai donné ci-dessus un très bref aperçu, permet de dégager la portée de la pensée de Jean-Marie sur cette dualité, laquelle m’apparaît comme constitutive, et heureusement constitutive, de sa personnalité critique et professorale. Tout se passe comme si la tension entre « empoétisation » et « ensauvagement » était la version esthétique ou, si l’on veut, sémiotique, d’une tension entre tempérament lyrique et exigence théorique dont l’une des traces concrètes est le conflit entre l’oral et le scriptural (fées/faits). J’en déduis que la mobilisation de ressources poétiques est chez Jean-Marie la trace d’une résistance au savoir universitaire et à la scripturalité élitiste dont il se soutient. « Théorie, mais Voix » est peut-être une représentation partielle gravitant autour d’un noyau sociogrammatique qui resterait à isoler.

Une autre façon de présenter la chose serait de dire que, en l’occurrence, la poéticité squatte la cognitivité, de la même manière que, dans le postulat d’Euclide28 – « Par un point extérieur à une droite, il passe une parallèle à cette droite, et une seule » –, l’épanorthose, c’est-à-dire la correction de la proposition principale par l’adjonction de « et une seule », convertit l’ontologique faiblesse et fragilité du postulat en puissance par un effet d’intensification et de dramatisation.

Mais la sollicitation du poétique au sein même de la prose critique fait vibrer deux autres cordes essentielles. D’une part, cette prose est en interaction critique avec un empire technologique et communicationnel qui domine de plus en plus les relations interindividuelles sur quelque terrain qu’elles puissent avoir lieu, particulièrement sur celui de l’enseignement. Celui-ci vise désormais non plus des étudiants, mais des « clients ». Les programmes et les matières ignorent de plus en plus les disciplines culturelles, artistiques et littéraires, considérées comme secondaires et inutiles. Inutiles? Oui, car elles ne rapportent pas assez d’argent. Enseigner se fait désormais de plus en plus, on ne saurait mieux dire, « à distance ».

Mais à distance de quoi? M’est avis de la vie, de la liberté, de la nécessité des liens sociaux, de toute empathie. L’apparente gratuité de l’hybridité de la langue de Jean-Marie est un désaveu complet de cette conception économiste et monologique de l’école et de l’université. D’autre part, la façon dont ses textes donnent à entendre la vitalité de la parole sous la prétention des discours dominants, de plus en plus hypocrites et cyniques (Macron), exclusivistes (Le Pen, Bolsonaro), ubuesques (Trump), est un acte de résistance politique. Le bon œuvrier qui l’assume n’a pas les moyens des forces énormes qu’il affronte. Mais il offre la joie de libérer et de partager des étincelles de cette aura dont Walter Benjamin avait pensé qu’elle était une situation de lecture certes illusoire, certes jamais pleinement réalisée, et moins encore durable, mais qu’elle était un idéal résiduel nécessaire, une clairière de « restes chantables » comme disait Paul Celan, à faire vivre et vivre encore, et d’autant plus que le temps risque de virer à l’envers de cette délicatesse culturelle, c’est-à-dire au retour des chemises brunes.

  • 1. Elles se tinrent à l’Université de Metz au printemps de l’année 2014.
  • 2. Sophie Ménard et Jean-Marie Privat (dir.), avec la collaboration de Vicky Pelletier, 2017.
  • 3. Réfractaire, et renommé pour tel. Ce côté rebelle peut prendre deux formes, celle d’une inventivité créatrice de bon aloi (la trouvaille du mot « courriel » par exemple) ou celle d’une abomination linguistique désolante (« l’apprenant » et « le s’éducant » en remplacement du mot « élève » par exemple).
  • 4. Les thèses que je résume dans les lignes qui suivent sont développées dans Le Mythe de Nelligan, (1981), La petite noirceur (1987) et L’amour du pauvre (1991). L’estime que j’ai pour l’essayiste ne m’empêche pas d’être en désaccord avec ses pratiques pédagogiques et ses positions politiques et culturelles.
  • 5. Cette crainte de la contradiction et cette éviction du débattre se lisent dans la langue courante sous la forme de mots de remplacement et d’euphémismes péjoratifs. Des politiciens qui s’efforcent de susciter du débat seront ainsi accusés de vouloir « chercher le trouble » ou « de vouloir créer des chicanes ».
  • 6. Autrement dit : du latin. Le « langage mythique » (ou cultuel) est l’une des quatre strates linguistiques (les trois autres sont le véhiculaire, le vernaculaire et le référentiaire) du modèle tétraglossique proposé jadis par Henri Gobard (1976).
  • 7. « Jm » me souhaite par là une année sabbatique légère, sans ahan.
  • 8. Les italiques des deux derniers mots sont de ma main.
  • 9. Le slash est de ma main (NDLA).
  • 10. Par exemple, le mot « Cécité » dans ce vers du poème Les aveugles de Charles Baudelaire : « Ce frère du silence éternel. Ô cité! »
  • 11. Les citations qui suivent dans cette section proviennent elles aussi de cet entretien.
  • 12. Néologisme sémantique, et non néologisme tout court, car le mot « empoétisation » est né de la plume sarcastique (le commencement du mot n’est pas loin d’« empoté ») de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron. Se plaçant sur le terrain d’une sociologie compréhensive, ces derniers analysent les pratiques socioculturelles des classes ouvrières et paysannes et font voir la rationalité et l’esprit qui les gouvernent (cf. Le Savant et le populaire, 1989). Ce faisant, ils rejettent à la fois une sociologie de la domination qui étouffe délibérément cette raison et cet esprit sous la chape conceptuelle de « l’habitus » et l’anthropologie de Michel de Certeau qui glisse selon eux vers une manière d’enchantement, d’« empoétisation » de la vie quotidienne (cf. Maigret, « Les trois héritages de Michel De Certeau. Un projet éclaté d’analyse de la modernité », 2000 : 511-549).
  • 13. Voir « l’empoétisation » de ce type repérée dans la description du moment où Emma Bovary entre dans la salle où a lieu le dîner à la Vaubyessard. Ladite « empoétisation » y est mise en tension avec « un discret ensauvagement symbolique ». Cf. Jean-Marie Privat, « Les salades semblaient peintes », 2018a : 331-342.
  • 14. Sa gestation fut à l’actif de poètes, tels Jean-Michel Maulpoix, Yves Bonnefoy, André du Bouchet et Philippe Jaccottet par exemple, qui étaient restés à l’écart de l’effervescence linguistico-formelle des années soixante et septante. Pour tout ce qui relève de ce « nouveau lyrisme » et du « chant du monde », voir la synthèse récente de Michel Collot, 2019. Ce volume comprend un chapitre intitulé « Le chant du monde » dont la première version parut dans le numéro 64 de la revue Nu(e) : 33-45.
  • 15. Cf. Jean-Michel Maulpoix, 1989; 2000; 2009.
  • 16. Cette expression signale l’appui apporté par la phénoménologie dans la pensée de Collot (je n’ai pas la place pour en parler ici). Jean-Marie en fait cas lui aussi.
  • 17. Pour Collot, l’émergence, de Kenneth White à Michel Deguy, d’une « géopoétique » ou d’une « écopoésie » vient très heureusement en renfort d’une écologie politique qui « ne tient pas assez compte [à leurs yeux] de la dimension symbolique, esthétique et affective de nos rapports avec la nature » (2019 : 171).
  • 18. « Paul et Virginie (1789) ou la fatale irruption de l’écrit », [s.l.], 2018b [document typographié], 10 p. [Communiqué à l’auteur de cette étude–NDLA].
  • 19. « Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rêvé la maisonnette de bambous, le nègre Domingo, le chien Fidèle, mais surtout l’amitié douce de quelque bon petit frère, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d’oiseau. » (Flaubert, 1993 : 46)
  • 20. Quand on cite cette petite phrase, qui fut aussi dite par Gérard de Nerval à Victor Hugo, il importe de toujours rappeler que, pour Hegel, elle ne signifie pas qu’une entité divine aurait passé l’arme à gauche. L’expression « Dieu est mort » signifie que [Dieu] est désormais renvoyé dans l’ordre des représentations (il n’est plus une entité agissante dans le monde empirique comme il l’était dans la tradition, mais un concept).
  • 21. Ce fut un sport national tout du long du XIXe siècle que d’inventer des cultes de remplacement – de Jean-Baptiste Chemin et ses zélateurs à Paulin Gagne en passant par Auguste Comte pour n’en citer que quelques-uns.
  • 22. Cf. « Il n’y a pas moins de convenance dans les formes et les grosseurs des fruits. Il y en a beaucoup qui sont taillés pour la bouche de l'homme, comme les cerises et les prunes; d’autres pour sa main, comme les poires et les pommes; d’autres beaucoup plus gros comme les melons, sont divisés par côtes et semblent destinés à être mangés en famille : il y en a même aux Indes, comme le jacq, et chez nous, la citrouille qu’on pourrait partager avec ses voisins. La nature paraît avoir suivi les mêmes proportions dans les diverses grosseurs des fruits destinés à nourrir l'homme, que dans la grandeur des feuilles qui devaient lui donner de l’ombre dans les pays chauds; car elle y en a taillé pour abriter une seule personne, une famille entière, et tous les habitants du même hameau. » (Études de la nature, ch. XI, sec. Harmonies végétales des plantes avec l'homme [1784], dans Œuvres de Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre, mises en ordre par L. Aimé Martin, 1833 : 370).
  • 23. Les italiques sont ajoutés.
  • 24. En ces lignes de la section « Mauvais sang » se lit le moment où le sujet résilie l’écartèlement traumatique qu’il a connu : « Sur les routes, par des nuits d’hiver, sans gîte, sans habits, sans pain, une voix étreignait mon cœur gelé : “Faiblesse ou force : te voilà, c’est la force.” » (Rimbaud, 1984 : 128)
  • 25. « Ô jour affreux! hélas! tout fut englouti. » (de Saint-Pierre, 2004 : 225) Le corps lui-même disparaît sous la tempête des temps nouveaux : « […] nous cherchâmes de notre côté le long du rivage si la mer n’y apporterait point le corps de Virginie : mais le vent ayant tourné subitement, comme il arrive dans les ouragans, nous eûmes le chagrin de penser que nous ne pourrions pas même rendre à cette fille infortunée les devoirs de la sépulture » (225).
  • 26. Cf. Histoire de la Révolution française, vol. 1, chapitre VII : Prise de la Bastille (14 juillet 1789), 2007 : 236-262, 249 et 255.
  • 27. Je mets ce mot entre guillemets parce que, en dépit de l’usage surabondant que j’ai pu en faire par obligation professionnelle, par exemple pour des raisons bassement intéressées dans des demandes de subvention, il ne m’a jamais paru que je faisais de la « science » dans mon si curieux métier. Je ne sais ce que Jean-Marie en pense.
  • 28. Tel qu’il est reproduit dans les traités de géométrie courants.
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Pour citer

Pour citer

Popovic, Pierre, « Jean-Marie Privat, poète », dans V. Cnockaert, M. Scarpa et M.‑C. Vinson (dir.), L'ethnocritique en mouvement. Trente ans de recherches avec Jean‑Marie Privat, février 2021, en ligne sur le site Ethnocritique : http://www.ethnocritique.com/fr/node/222/.

Bibliographie

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