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« Un gros livre noir… » [Un entretien avec Alice Delmotte-Halter]

« Un gros livre noir… » [Un entretien avec Alice Delmotte-Halter]

Première publication dans L’art du folklore. Europe, Afrique, Amériques, sous la dir. de M. Cariz, A. Demotte-Halter, S. Roth et V. Trancart,PUN-Éditions-universitaires de Lorraine, « EthnocritiqueS », 2014, p. 273-312.
 

Le folklore en France (et ailleurs)1

Alice Delmotte-Halter (A. D.-H.)  La naissance des études folkloriques en France est tardive par rapport aux voisins européens.

Jean-Marie Privat (J.-M. P.)  En effet, en France c’est seulement après la Révolution que les premières études savantes de ce type émergent, entre « antiquités » populaires et étonnantes « survivances ». Ces recherches d’une doulce France encore sauvage ou rebelle aux idéaux de la Raison s’organisent principalement au début autour de l’Académie Celtique (1804-1812) et de son fameux Questionnaire pré-ethnologique : 

Aux approches de l’hiver, les habitants des campagnes s’assemblent-ils pour passer la veillée, appelée perveils, écraignes, etc. ? Quelles pratiques y ont lieu ? Quelles sont les idées superstitieuses qu’on y attache ? Quelles sont les fables merveilleuses qu’on y raconte ? (Belmont, 1995 : 29-30)

Le terme de folklore n’existait pas encore2. Il s’agissait avec ces recherches érudites qui seront bientôt relayées par des enquêtes plus centralisées et plus politiques dans leurs objectifs de mettre en évidence et en valeur deux traits constitutifs d’une mythologie de la France moderne. Le premier geste de cette geste nationale, si j’ose dire, est la reconstitution et la sauvegarde d’un trésor encore vivant des façons de dire et des façons de faire d’une France inscrite dans l’histoire longue des mœurs et des coutumes. Ce patrimoine culturel, réputé issu – plus ou moins imaginairement – des profondeurs anthropologique d’une France préchrétienne (d’où la passion pour les anciens Celtes – y compris chez des écrivains comme Chateaubriand et Nerval – ou, plus tard encore, ce que Paul Sébillot appellera le paganisme contemporain – 1908), est perçu ou présenté comme un précieux contrepoint, souvent populaire, à l’héritage chrétien ou christianisé et en quelque façon officiel de la France monarchique, fille aînée de l’Église.

Cette approche réactive et historicisante qui n’échappe ni aux partis pris idéologiques, évidemment, ni aux séductions de l’archaïsme et de l’autochtonie est le fait de savants. Elle s’accompagne, dès le Directoire puis surtout sous l’Empire, d’injonctions et de méthodes administratives d’enquête et de collecte sur la situation morale et matérielle des populations de la nouvelle nation française, peuple mal connu des campagnes – mondes de l’oralité, de la routine et de la crédulité – dont on entendait et attendait qu’il soit prestement digne du destin historique que lui réservait l’utopie des Lumières (Bourguet, 1984 : 259-272). Ainsi, au printemps 1801, les premiers préfets du Consulat reçoivent-ils mission de partir à la découverte de la France réelle ; il s’agit de connaître les communautés dans leur génie propre mais aussi leur avenir dans le cadre d’une Nation aux accents du progrès tant moral qu’économique. Ces fameuses Statistiques des Préfets constituent une plongée très intéressantes dans les us et coutumes (et les langues) de la France postrévolutionnaire (Bourguet, 1988), l’invention d’une France rurale et patoisante à la fois laborieuse et dangereuse…

Les premières interrogations dans ce champ d’une science de la culture du proche viennent donc d’instances de pouvoirs intellectuels et/ou politiques aux objectifs assez ambigus sinon contradictoires, partagées entre réhabilitation populiste et indexation légitimiste. Malgré parfois des hypothèses assez insolites sur les origines gauloises du vocabulaire, par exemple, ou des pseudo-découvertes archéologiques non moins étonnantes (ou trafiquées), avec le recul on peut s’autoriser à dire que ces travaux inégaux et fortement investis de passion française ont quand même eu le mérite de créer un mouvement d’intérêt pour des univers sociaux et surtout symboliques déconsidérés voire invisibles auparavant. Comme si « peintures idiotes, contes de fées, refrains niais, dessus de portes » et autres « toiles de saltimbanques » tant aimés de Rimbaud3 étaient une source et une ressource de l’estrangement culturel et de ses prestiges inavouables, à portée de livre.

 

A. D.-H.  Une ressource, oui, régénératrice. Auparavant ces peintures et ces contes étaient pourtant associés à une culture païenne, c’est-à-dire dissidente par rapport à l’orthodoxie catholique et aux formes officielles de la culture curiale, urbaine ou bourgeoise. Une culture de fait marginalisée car n’appartenant pas aux codes dominants, presque un contre-pouvoir, perçue soudain après la Révolution comme ancestrale et digne d’intérêt, et dont les paysans seraient les dépositaires privilégiés - à leur insu car eux-mêmes considérés comme hors de l’Histoire ?

J.M. P. – Oui, la pensée évolutionniste constitue implicitement ou explicitement le paradigme de référence à l’époque : les fameuses « survivances » (d’un monde perdu). Les paysans seraient des vestiges vivants du temps passé, des documents humains comme on dira plus tard, des esprits simples ou des simples d’esprit.

Ainsi les antiquaires, ces proto-folkloristes, étaient-ils, à l’origine, en quête du spécimen du plus vieux des paysans, souvent une paysanne d’ailleurs, dans le village le plus arriéré et le plus reculé, le plus à l’écart des villes et des voies de communication. La vieille des hameaux, analphabète, de haute montagne, en somme, vénérable comme une relique culturelle porteuse de croyances inouïes et de savoir-faire étranges pour les esprits éclairés. Il est significatif que l’idée même d’un folklore urbain soit très tardive dans l’histoire de la discipline.

 

A. D.-H.  Ce que l’on appela la « tradition orale », « orale » se confondant alors avec populaire et ancienne ?

J.M. P. – Oui. Et les connotations passéistes et tendrement rétrogrades que le lexique tend à attacher à cette expression sont toujours d’actualité, contrairement à oral tradition ou writing tradition qui mettent l’accent sur la transmission et non sur l’illusoire reproduction éternelle du même. C’est ainsi qu’en France particulièrement, la montée en puissance de l’écrit et de l’imprimé au XIXe siècle, symbole des progrès de la modernité, tendit à rabattre pour longtemps l’oralité sur l’archaïque, le rudimentaire et, bien sûr, le double inversé du véritable citoyen, l’analphabète. On est loin par exemple, des analyses de Walter Benjamin sur l’art du conteur comme un subtil, artisanal et communautaire :

Si les paysans et les marins furent les maîtres anciens de l’art de conter, l’artisanat fut sa haute école […]. Le conteur imprime sa marque au récit, comme le potier laisse sur la coupe d’argile l’empreinte de ses mains. L’art du conteur consiste pour moitié à savoir rapporter une histoire sans y mêler d’explication, pour autre moitié à reprendre celles qu’on a entendues […]. Et plus l’auditeur s’oublie lui-même, plus les mots qu’il entend s’inscrivent profondément en lui. (Benjamin, 2000 : 114-151)

Les ethnographes nous ont appris, de leur côté, qu’il existe toujours, dans certaines régions du monde (Inde, Chine, Afrique, Amériques), des traditions orales inventives et qu’à moins de s’abandonner à un ethnocentrisme primaire, les mondes de l’écrit et ceux de l’oral sont plus poreux et plus hybrides que les théories colonialistes (et ethnographiques) du grand partage le laissaient à imaginer (Goody, 1979 : 245-267). 

 

A. D.-H.  En France, la naissance du folklore vient donc d’une certaine idée du progrès du genre humain articulée à une volonté de surveillance des mœurs populaires et provinciales et ce, dans le cadre d’un projet de (ré-)invention de l’identité nationale. Mais ce contrôle de l’hétérodoxie de la part d’un État alors centralisateur et surplombant – l’Empire – et sous couvert de science n’est-ce pas, en somme, le pouvoir-savoir dont parlait Michel Foucault ?

J.M. P. – Ce fut, en effet, un pouvoir d’État au début du XIXe siècle. Il s’agissait de connaître la distance à d’idéales normes culturelles nationales et non de reconnaître en quelque façon l’hétérogénéité culturelle d’un pays. Les questions sur la moralité des mœurs populaires ne manquaient donc pas d’être posées aux correspondants locaux des "enquêtes"4. Auparavant, c’était un pouvoir d’Église qui, surtout à partir du le Concile de Trente, traquait non pas les antiquités ou les survivances mais les « superstitions », interminables listes de « vaines observances » plus ou moins diabolisées que les bons curés devaient pouvoir identifier et dénoncer comme telles. Mais n’oublions pas que les agents des appareils idéologiques (État, Église), pour parler comme Althusser, baignaient eux-mêmes dans une pensée analogique ou même magique (ou mythico-poétique et religieuse) qui les rendait ambivalents face à l’emprise des faits/fées.

 

A. D.-H.  Sur cette scène, le terme de folklore apparaît tardivement.

J.M. P. – Oui. Le terme de folk-lore, anglais à l’origine, date de 1846 seulement ; il a été créé de toute pièce par le polygraphe et bibliothécaire anglais William Thoms, alias Ambrose Merton, qui proposa devant l’Athenaeum de Londres d’user du mot « Folk-Lore » pour décrire (et sauver de l’oubli) les « manners, Customs, observances, superstitions, Ballads, Proverbs […] of the olden time » (Thoms, 1846 : 862-863 et 886-887). Le terme s’imposa, ainsi que sa définition, aussi générale et vague fût-elle. Le mot fut forgé à partir de termes censés remonter au très vieux saxon : le folk-lore c’est « the Lore of the People », le savoir du peuple et/ou le savoir sur le peuple . Robert Lafont (1986 : 31-37) interrogea naguère cette ambivalence qui est aussi une ambiguïté : «  […] lore, connaissance qu’à le folk, ou connaissance qu’on a de lui ? » Auparavant, on parlait d’ « usages » (songeons à Montaigne : « Chaque usage a sa raison ») ou, plus fréquemment, d’ « erreurs populaires » ou de « préjugés », car la perspective du relativisme culturel fut très longue à s’imposer, ou encore, comme on l’a dit, de « superstitions » quand il s’agissait de rites ou des créances que l’Église ne reconnaissait pas ou plus comme siens. Le vocabulaire en dit toujours plus sur les catégories sociocognitives de leurs utilisateurs que sur la réalité anthropologique des faits. La France des élites et la République jacobine et universelle n’ont jamais eu un rapport simple avec les cultures du peuple. Quel est le rapport de Molière au folklore ? Un usage carnavalesque, certes, dans son principe mais tellement contrôlé… 

 

A. D.-H.  Il a fallu attendre la Révolution et l’Empire pour qu’apparaissent des collectes systématiques. Le clergé n’avait-il rien fait de tel à l’époque classique ?

J.M. P. – Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les prémisses d’un intérêt pour la matière « folklorique » locale ou régionale peuvent se découvrir dans les observations éparses des médecins ou certains témoignages écrits de sages-femmes sur la culture matérielle des pauvres – les usages alimentaires, les soins du corps, les pratiques abortives, etc. – mais aussi incidemment dans les rapports des grands commis de l’État, sous Colbert par exemple, dans le cadre de la connaissance des mœurs ou tempéraments des populations à administrer (caractères physiques et moral, alimentation, ardeur au travail, fêtes païennes, etc.) et d’un État centralisé à construire sur des bases rationnelles, une logique comptable souvent en fait (Trénard, 1980 : 233-245). On trouve aussi des informations sur les us et coutumes populaires dans les relations de voyages (et les guides ou itinéraires pour le voyage, un peu plus tard) dans les provinces françaises des notables et des écrivains déjà, comme La Fontaine en Limousin ou Racine à Uzès, si loin de Paris... Le « folklore » est également mis en scène dans une certaine littérature, réaliste ou facétieuse – je pense à Noël du Fail au XVIe siècle, à Furetière ou à Sorel par exemple au XVIIe siècle – avec néanmoins toutes les conventions d’époque et de genre. C’est sans doute dans des mémoires, au tirage resté confidentiel, d’obscurs érudits de province formés souvent à Paris et en mal de légitimité culturelle5 que l’on trouverait encore de précieuses compilations sur la culture folklorique ancienne.

Mais les deux corpus qui intéressent le plus le folkloriste d’aujourd’hui sont offerts par la lexicographie d’une part, la théologie pratique, d’autre part. Les diverses recherches sur les antiquités de la France et les origines nobles ou populaires de la nation sont symbolisées par les Recherches de la France d’Etienne Pasquier (1560 pour la première édition), conseiller et avocat général du Roy en la Chambre des Comptes de Paris ; on y apprend les « proverbes qui sont tirés en notre langue de ce mot de chaperon » ou encore pourquoi « par manière de gausserie on appelle puceaux ceux qui au souffle de leur haleine rallument une chandelle éteinte ». Pareillement, avec les dictionnaires qui sont tous plus ou moins alors des monuments de défense et illustration de la langue française, on approche d’une sorte d’encyclopédie des usages (linguistiques et symboliques), dans une perspective qui, au fond, sera plus tard celle de l’anthropologie linguistique : « On dit d’un bâtard qu’il est comme le Loup, qu’il n’a jamais vu son père, parce que les loups par jalousie déchirent celui qui a couvert la Louve. » (Le Roux, 1718) 

Toutefois, les archives les plus importantes ou, en tout cas, les plus accessibles sont les écrits multiformes du contrôle des mœurs religieuses, depuis la Réforme et la Contre-Réforme en fait. On est loin bien sûr des premiers travaux systématiques liés à la valorisation officielle (mais à éclipses) des trésors matériels et immatériels du pays6, a fortiori des objectifs savants des premières revues françaises de folklore, revues consacrées à la collecte et à l’étude des mythologies populaires ou à la sauvegarde (livresque) des traditions populaires7. Même si les éléments de folklore du proche sont dispersés dans les archives des visites pastorales du XVIIIe siècle et du XIXe siècles, certaines sont à juste titre très célèbres car très riches et déjà très précises, en tout cas très factuelles (Devos et Joisten,1978). Même si les croyances et les pratiques hétérodoxes y sont énoncées pour y être dénoncées. Il faut dire un mot de l’abbé Jean-Baptiste Thiers et de son fameux Traité des superstitions qui regardent les sacrements selon l'Écriture sainte, les décrets des conciles, et les sentiments des Saints pères et des théologiens (3 volumes, 1697-1704), mine d’informations sur ce que l’orthodoxie construit comme contre-culture magique ou para-culture religieuse.

 

A. D.-H.  Ces cultures hétérodoxes, ces cultures plus ou moins « autres » par rapport à la pensée dominante étaient alors perçues comme dissidentes du seul fait qu’elles n’étaient pas conformes ? Et perçues comme déviantes par le processus de normalisation même ? 

J.M. P. – Exactement. En fait il faudrait distinguer la culture folklorique comme culture (partiellement) autonome, la culture folklorique comme culture marginale ou interstitielle, la culture folklorique comme possible contre-culture, culture de contestation ou de résistance. On touche dans ce dernier cas de figure à la problématique gramscienne et bakhtinienne du rôle d’opposition des altérités culturelles en archipel (je dis « en archipel » car elles ne sont que rarement théorisées et ordonnées pour/par elles-mêmes) ; en quelque façon, elles contestent la révérence et la référence spontanées aux vérités officielles, par leur existence même8… Mais la situation culturelle en Occident fut longtemps compliquée par une double tension dans le monde savant entre les antiquaires qui voulaient retrouver les sacro-saints vestiges d’une très lointaine et quasi immémoriale histoire dans les mœurs et les langages les plus archaïques des populations les plus reculés – les habitants des îles et les montagnards faisaient idéalement l’affaire – et les sectaires, si je puis dire, qui partaient en chasse des traces des errements de la Raison ou des hétérodoxies plus ou moins violemment démonisées. Avant d’être, plus tard, folklorisées. Et comme je l’ai évoqué, la pensée sauvage trouble en sourdine la culture des élites et la science du concret trame les imaginaires artistes (Rabelais, Shakespeare, Cervantès, Sterne, Goya, Hugo, Rimbaud, les surréalistes, etc.). 

Pour en revenir au malaise dans la civilisation des cours et des villes, un mot encore de l’abbé Thiers en son propos liminaire qui me paraît significatif de cette interrogation inquiète sur les failles innombrables de l’orthodoxie :

Il est étonnant que les superstitions ayant été détruites par la très profonde humilité de Jésus-Christ […], soient aussi universellement répandues dans le monde chrétien […]. Toutes proscrites qu’elles sont, elles ne laissent pas d’avoir partout des partisans. Elles trouvent accès chez les Grands ; elles sont en vogue parmi le peuple ; chaque royaume, chaque ville, chaque paroisse a les siennes propres. Tel les observe qui n’y pense nullement, tel en est coupable qui ne croit pas. La malice, l’ignorance, la simplicité, la vanité, le caprice, l’humeur, l’amour de la vie […], les font souvent entrer jusque dans les plus saintes pratiques.

À ce propos, c’est sans doute tout sauf un hasard si nous ne disposons pas d’études sur le folklore biblique et le folklore des premiers chrétiens comparables à l’anthropologie des mondes gréco-romains et des mythes antiques conduites par Louis Gernet, Jean-Pierre Vernant ou Edmund Leach. 

 

Croire ou penser : les autres du je ? 

A. D.-H.  Nous pourrions poursuivre cette archéologie des études folkloriques en France en marquant le contraste de notre scène nationale avec d’autres pays européens, moins anciennement centralisés et moins légitimistes en matière de politique cultu(r)elle (et linguistique), le rôle et l’importance qu’ont pu alors y jouer les folklores locaux. Je pense aux travaux d’Anne-Marie Thiesse en particulier (Thiesse, 1999 : 161-224). Mais je vous propose de rester encore un peu sur les différences entre superstitions et vaines observances, préjugés et erreurs populaires, croyances folles et coutumes curieuses par exemple, survivances plus ou moins vivaces et folklore. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Il me semble, en tant qu’anthropologue, que le terme de folklore n’est plus considéré comme très pertinent aujourd’hui – d’où l’idée dans cet ouvrage de l’interroger à nouveau frais.

J.M. P. – Dans notre vocabulaire, nous dirions maintenant « univers symbolique », « système culturel » ou encore « cosmologie », puisque l’approche est à la fois synchronique et systémique. En fait, il est impératif de distinguer sur le plan méthodologique entre le folklore comme discipline (désuète dans sa forme ancienne sur le plan scientifique), le folklore comme corpus de matériaux culturels (précieux pour l’analyse)9 et le folklore comme pratique sociale (entre instrumentalisation politique et usage symbolique spécifique). Sachant que la folkloristique contemporaine s’intéresse aussi bien à la charrue du laboureur et à ses manières de faire qu’à son chant et à ses rites de fertilité, je veux dire tant à la culture verbale qu’à la culture matérielle, contrairement au regard d’autrefois pris sous le charme, y compris chez les écrivains, de la seule « Popular Literature ». 

A. D.-H.  Au sujet de la coexistence des univers culturels, je pense à ce passage que vous aimez à citer, de Madame Bovary, qui met le lecteur en présence d’une pluralité de points de vue, eux-mêmes hybrides et hétéroclites. Le roman scénographie un conflit de cosmologies hétérogènes et plus ou moins incorporées10. Voici ces quelques lignes de Flaubert :

[…] Des aboiements continus se traînaient au loin, quelque part. 

- Entendez-vous un chien qui hurle ? dit le pharmacien. 

- On prétend qu'ils sentent les morts, répondit l'ecclésiastique. C'est comme les abeilles ; elles s'envolent de la ruche au décès des personnes. – Homais ne releva pas ces préjugés, car il s'était rendormi.

M. Bournisien, plus robuste, continua quelque temps à remuer tout bas les lèvres ; puis, insensiblement, il baissa le menton, lâcha son gros livre noir et se mit à ronfler. 

Ils étaient en face l'un de l'autre … et ils ne bougeaient pas plus que le cadavre à côté d'eux qui avait l'air de dormir. (Flaubert, 1971 : 339) 

J.M. P. – Oui, c’est pendant la veillée funèbre d’Emma. Qui sont les protagonistes de cette scène nocturne ? Le pharmacien Homais, généralement tenu pour le représentant des Lumières ; l’abbé Bournisien, curé de campagne sans génie ni diabolie ; la voix anonyme du narrateur enfin qui joue double ou triple jeu. Arrêtons-nous d’abord un instant sur cette troublante notation du narrateur qui semble prendre à son compte – au moins stylistiquement – une forme d’anthropisation de la nature en évoquant ces « aboiements continus qui se trainaient au loin ». On s’attendrait, en régime esthétique réaliste, à ce que ce soit plutôt des voix humaines plaintives et souffrantes qui se trainent au loin11, et non des aboiements de chien. Comment écrire ou décrire avec plus d’ambivalence culturelle ou d’incertitude axiologique, que le récit prend ici entièrement en charge, une pensée sauvage où la discontinuité physique, pour parler comme Philippe Descola12, se conjugue à une sorte de continuité dans les intériorités, animales ici, humaines là. Bref, voilà que la pensée du roman est elle-même traversée de superstitions… À moins que la voix narrative ne partage la culture de ses personnages ?

Considérons maintenant les propos de M. Homais. Homais, en héraut caricatural de la Raison, plus scientiste que scientifique. Homais en prototype du notable de village voué à l’écrit, à la science expérimentale et évidemment à la médecine positiviste. C’est, en outre, le correspondant local du canton pour la Statistique Nationale13, il se dit membre de plusieurs sociétés savantes, etc. J’ai écrit quelques pages là-dessus dans mon ethnocritique (Privat, 1994 : 199-230). Bref, c’est l’homme des écritures et du gouvernement des peuples, des sciences positives et du comptage. Or, on constate qu’il y a comme une continuité inattendue entre le point de vue du narrateur qui conduit le récit et la première prise de parole de M. Homais : dans ce passage, il évoque à son tour un « chien qui hurle »… En bon apothicaire positiviste, il aurait dû parler d’un chien qui aboie, qui aboie très fort et continument sans doute, mais qui aboie… Le fait même qu’Homais relève ce hurlement signifie que le lien ombilical avec les croyances du village n’est pas réellement coupé.

En fait si la question posée par Homais au curé est doublement pertinente, dans son principe et dans sa formulation, c’est parce qu’elle présuppose que tout le monde sait qu’un chien qui crie dans la nuit est un chien qui aboie à la mort ou mieux qui « hurle à la mort ». C’est un message que la communauté paysanne entend. Mais c’est aussi une message d’ensauvagement subliminal proposé au lecteur coopératif par l’ellipse indissociablement verbale et culturelle du texte : « Entendez-vous un chien qui hurle [sous-entendu : à la mort]14 ? »

 

A. D.-H.  Homais est donc d’emblée dans la pensée qu’il se devrait de combattre en tant que notable éclairé de la communauté villageoise. À moins qu’en se situant dans son univers de référence, il ne cherche ou ne s’amuse à chercher la sympathie du prêtre, homme de toutes les superstitions…

J.M. P. – En effet, l’ecclésiastique, qui représente bien un de ces curés de campagne, le plus souvent issus eux-mêmes du monde rural et des cultures populaires et formulaires, partage de facto, en tant que spécialiste des liens avec l’au-delà, le sens du continuum des mondes. Sa formulation à la fois prolonge le sous-texte – « hurle (…) les morts » – et le motif culturel implicite dans la parole de son interlocuteur, tout en prenant quelque distance énonciative avec la croyance : «  On prétend qu’ils [...] ». Mais le coup de génie du romancier est, ensuite, de passer comme sans transition de l’univers de la sapience commune rapportée spontanément (même si sans prise en charge personnelle explicitement assumée) aux certitudes des signes voire des mantiques folkloriques : « C’est comme les abeilles ; elles s’envolent de la ruche au décès des personnes15. » Le bestiaire folklorique du curé Bournisien (les chiens, les abeilles, les morts) ne rencontre pas l’opposition du pharmacien qui s’est alors rendormi (le sommeil de la Raison engendre peut-être en lui des images d’abeilles rituelles ?), même si la voix narrative paraît cette fois partager un point de vue rationaliste moderne en parlant de « préjugés ».

Ce dispositif rhétorique permet certes d’opposer sens commun (dont ici le religieux) obscurantiste et savoir critique (et moderne) ; mais, n’en déplaise aux tenants de l’ironie flaubertienne, par ce coup de force interprétatif (« ces préjugés ») qui soudain semble couper court à toute ambivalence anthropologique, l’écrivain met ici en complicité la voix de M. Homais et la voix du narrateur lui-même… Un bel exemple de dialogisme manifeste (un dialogisme apparent) et de dialogisme constitutif (un dialogisme structurel) des sujets culturels. Et de l’hétérophonie fictionnelle à la fois exhibée et, si je puis dire, sinon refoulée du moins retenue ou rentrée qui travaille la prose de Flaubert et le roman moderne et contemporain sans doute plus généralement16.

 

A. D.-H.  Quelque chose craque ici de notre rapport au réel, un réel que Bakhtine analyse comme un ensemble de processus historiques qui tendent eux à l’unification étatique et à la centralisation linguistique et culturelle. La doxa académique a tendance à négliger cette hétérogénéité idéologique et ce dialogisme langagier souvent constitutifs des plus grandes œuvres littéraires. 

J.M. P. – Je suis d’accord. Tout le monde dort et ronfle à la fin – le lecteur excepté, le roman n’est pas censé lui tomber des mains ! C’est le degré zéro de la veillée funèbre évidemment et une sorte de zoom sur la pesanteur sartrienne des consciences (« la faiblesse humaine » dit, peu chrétiennement, le texte). C’est la débâcle du dialogue (« ils étaient en face l’un de l’autre ») et le grotesque des corps (« ventre en avant », « figure bouffie », « air renfrogné »). C’est un monde qui s’exténue et tombe. L’abbé Bournisien, décrit comme « plus robuste » (rustre ?), marmonne bien encore quelque chose. On devine que ce sont de vagues prières pour la morte. Flaubert décrit donc ce rite verbal comme dépourvu d’âme (« remuer tout bas les lèvres »). Et ce désastre cultuel et culturel est finalement ironiquement marqué par la confusion ontologique des places entre les morts et les vivants : «  Ils ne bougeaient pas plus que le cadavre à côté d’eux, qui avait l’air de dormir ».

Finalement, la littérature sauve son héroïne (comme le « beau livre » du poète en grève devant la société17) et enterre si je puis dire la petite société des bonshommes. Le curé finit par lâcher « son gros livre », tout à la fois livre de prière, livre des morts abandonnés à leur sort, et symbole de tout (gros) livre, aussi suffisant qu’insuffisant…

A. D.-H. –​​​​​​​ Le monde serait-il fait pour aboutir à un livre (ou à une chanson) ? 

J.M. P. – Mais ce « gros livre noir » a valeur d’emblème, pour notre conversation aussi. Le livre « noir », c’est la Sainte Bible de façon générale ou le livre de messe, ici le livre de prières, le livre des morts en somme. Ce peut être aussi le livre du Malin ou le grimoire des sorciers18. C’est le livre de tous les écrits finalement : c’est le Code Noir de l’esclavagisme occidental, c’est le misogyne Livre Noir de l’abbé Frollo, c’est le vaticanesque Index19, tous au plus loin de l’oralité libre et de l’ineffable aura que peut produire une expérience authentique du monde, comme pourrait le dire Walter Benjamin20.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ C’est une boîte noire en quelque sorte, qui révèle, par l’imprimé, ce que l’on ne voudrait ni voir ni comprendre. Livre noir du folklore ? Nicole Belmont disait explicitement en effet, il y a déjà plus de vingt ans, que ce terme est à reconsidérer, voire à réhabiliter en France. Car, du fait du cartésianisme dominant, dit-elle, il n’a jamais été pris très au sérieux (Belmont, 1986 : 259-268).

J.M. P. – À prendre en compte en tout cas et non à considérer comme un bibelot d’in(s-)anité sonore.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Il semble paradoxal toutefois  qu’en France naissent les recherches sur les arts et traditions populaires, prémisses des études de folklore proprement dites21, au moment même où l’École de la IIIe République tend à effacer définitivement toute trace de particularisme local et de plurilinguisme (la disparition accélérée des patois).

J.M. P. – Même si ce n’était pas l’objectif initial ou central du gouvernement en alphabétisant les campagnes, en précipitant les mondes ruraux et ouvriers dans la littératie, l’école républicaine participa à la décomposition sociale et à la déconstruction symbolique de ces univers-là. Sans oublier, en 1790, la fameuse Enquête de l’abbé Grégoire sur les patois de la France où le geste politique invente les restes folkloriques : « La folklorisation de la différence est le corollaire d’une politique d’unité nationale » (Certeau et alii, 1975 : 160-169). Dans son non moins fameux Rapport à la Convention nationale au nom du Comité de l’Instruction publique (1794), le bon abbé s’emportera contre l’ineptie « des contes puérils de la bibliothèque bleue, des commères & du sabbat ». Mais dès qu’on regarde de près, on voit que l’élite sociale ou intellectuelle reste intriguée par ce que manifeste ces univers perçus comme mondes de l’irrationnel, de la déraison, du désordre contre l’ordre graphique scolaire et académique. Le développement conjoint de la scolarisation et de l’urbanisation tend en effet, à la même époque, à engendrer une montée de l’intérêt nostalgique et parfois ombilical pour ces cultures réputées finissantes d’où l’on vient encore majoritairement. D’où peut-être l’intérêt du grand roman moderne – La Comédie humaine, Les Rougon-Macquart, La Recherche du Temps perdu – pour ce que R. Barthes désigne comme ces moments de l’Histoire où une société «  se défait » (Barthes, 2002 : 563). Et sur un mode plus léger, les paroles de la chanson de Trénet ! 

Le folklore c'est par-ci, par là

Des airs purs que tout le monde chante.

Il traverse nos peines et nos joies

Comme la biche traverse les bois.

Le folklore ça vous prend un soir

Et ça vient bercer de nostalgie

Tous nos rêves et tous nos espoirs.

Le folklore c'est notre vie.22

Essais de définition(s)

A. D.-H. –​​​​​​​ Sachant cette variabilité de l’emploi du terme selon l’espace et le temps, selon aussi le point de vue et l’identité du locuteur, de l’observateur, existe-t-il aujourd’hui une définition sinon scientifique du moins consensuelle du folklore que nous pourrions, sans sous-entendus parasites, exploiter ?

J.M. P. – Non, et pour plusieurs raisons23. La réponse disons classique est que les discours sur les cultures dépendent des positions (historique, anthropologique, sociologique) des discoureurs. Je pense à cette observation amusante de Michel Leiris (1970 : 69) – trinquer appartiendrait au folklore et porter un toast aux bonnes manières – ou encore, à Wittgenstein (1982 : 20-21), plus acerbe, lorsqu’il explique que « Frazer est beaucoup plus « sauvage » que la plupart de ses sauvages » dans la mesure où « ses explications des usages primitifs sont beaucoup plus grossières que le sens de ces usages eux-mêmes »… Pour ma part, je dirai que d’un point de vue cognitif le folklore est un analyseur extraordinaire (parce qu’analyseur insu) des positions que les personnes ou les institutions ne peuvent pas ne pas prendre par rapport aux impositions, ordinaires ou non, de légitimité culturelle.

Je dis imposition parce que je suis toujours amusé ou intrigué par l’emploi ambivalent du mot : le folklo’, c’est à la fois ce qui n’est pas sérieux et ce qui est drôle – les manières de dire en disent elles-mêmes beaucoup. Ce qui n’est pas raisonnable et convenable et ce qui, d’un autre point de vue (ou du même en fait), est amusant et vivant, joyeux24, inventif. 

Je dis encore imposition au sens d’imposition de problématique cette fois car il est notoire que la notion de folklore présente les caractéristiques d’une… prénotion (déficit d’unification théorique générale, primat historique d’enjeux symboliques divers, méthodologies empiriques, monographies plus descriptives qu’analytiques, dissolution de la folkloristique dans le champ hétéronome des sciences humaines). Cette absence de Grand Theory (Haring, 2008) n’est pas une calamité en soi si l’on considère que c’est le revers d’une double réalité culturelle : le folklore en tant qu’objet d’études couvre un domaine hyper-segmenté difficile à unifier dans une théorie abstraite universelle (le folklore des jouets, le folklore de la mort, le folklore des prix littéraires, le folklore japonais, , le folklore gay, etc.) ; le folklore en tant que pratiques cette fois, performances et expériences confondues, présuppose autant de rapports au monde qu’il y a de situations historiques et socio-anthropologiques (Stewart, 2008 : 71-82). Les féministes (Mills, 1993 : 173-192 ; Locke, 2009) ne se sont pas privées de faire remarquer que l’expressivité folklorique échappait tendanciellement moins aux femmes, mêmes les plus humbles, que les formes les plus autorisées et les plus hiérarchisées des cultures écrites, de la protestation chantée au travail sotto voce (Caufriez, 1998) aux rituels collectifs de retournement des proverbes (patriarcaux). Les artistes contemporaines inscrivent une partie de leurs travaux dans cet héritage, Anne Messager et sa « collection » de proverbes ou Janet Davidson-Hues et son contre-usage des idiomatismes sexistes. 

Je dis enfin imposition au sens d’imposer par un jeu de positions réglées les unes sur les autres, jeu qui place structuralement le folklorique du côté du non-légitime, du non-officiel, du non-orthodoxe et le constitue ainsi, ipso facto, en topique d’hétérodoxie spontanée, de contestation implicite de l’unicité de la voix officielle (Ecole, Eglise, Etat, Science), bref de formes subalternes mais oppositives (ou décoratives) de cultures, formes régressives ou progressistes, selon les cas25.

On connaît le mouvement historique de patrimonialisation étatique du folklore (les chants ou les contes par exemple, le revival festif local, etc.) et, dans le même mouvement, son ultime refuge dans les cultures enfantines, exotiques ou spectaculaires26 et fictionnelles27. Cette dialectique de la domination symbolique et de l’altérité culturelle résiduelle est à l’œuvre dans les catégories sémantiques de notre vocabulaire le plus quotidien, dans lequel au moins depuis le XVIIe siècle, le mot terroir qualifie favorablement les fruits de l’agriculture (les bons produits du terroir) et disqualifie sans autre forme de procès les fleurs de la culture locale (ainsi un poète ou un écrivain du terroir est quasiment une contradiction dans les termes). Il n’est de bon bec (et plume) que de Paris, comme on sait. 

Les exemples seraient innombrables de la présence de motifs folkloriques dans notre vie, depuis ces rites universitaires d’inversion carnavalesque où l’éminent collègue doit être rigoureusement tenu dans le secret de la fête qui se prépare en l’honneur de son départ à la retraite (il a perdu le pouvoir de décision) jusqu’aux discours magico-religieux ou mythico-poétiques que peut relever n’importe quel client d’une pharmacie de centre ville au rayon « beauté » (féminine) : huile prodigieuse, corps de déesse, fluide merveillance, soleil divin, deux coups de baguette, pschitt magique, etc. M. Homais s’y reconnaîtrait peut-être, lui qui, un temps, « s’éprit d’enthousiasme pour les chaînes hydro-électriques Pulvermacher » et apparaissait aux yeux de son épouse subjuguée « plus garrotté qu’un Scythe et splendide comme un mage. » (Flaubert, 1971 : 352)

Mais ce point (de vue) mériterait d’être relativisé doublement. D’une part, l’histoire longue nous apprend que la culture folklorique (également urbaine, marchande, laïque) peut coexister avec la culture officielle cléricale, religieuse et aristocratique (Le Goff, 1977 : 223-331; Schmitt, 2001 : 129-237), voire en contester la suprématie – pensons aux thèses, trop romantiques sans doute, de Bakhtine sur la culture populaire de la cité médiévale, le carnaval de la dérision des valeurs établies ou la farce de la désacralisation de la morale religieuse (1970); d’autre part, l’anthropologie nous met en garde contre une conception systématiquement élitiste de la circulation des traits culturels alors que les échanges croisés entre cultures autorisées et cultures minorées sont certes asymétriques mais néanmoins constants dans la sphère du symbolique (le parler des banlieues, les goûts culinaires, les modes vestimentaires, les arts de la rue, etc.) (Grignon et Passeron, 1989). D’autant que si le folklore n’est pas cette culture homogène et immobile qui échapperait à l’analyse anthropologique (Lévi-Strauss, 1974 : 418), son caractère collectif, à la fois transmis et incorporé28, le constitue en une sorte d’habitus folklorique qui exerce sur nous-mêmes et sur les autres un sentiment contradictoire de présence et d’étrangeté, la fascination plus ou moins refoulée pour cette familiarité étrange, cet insolite ordinaire29. Bref, le folklore est un fait anthropologique et idéologique total, pour paraphraser la célèbre formule de Marcel Mauss ! C’est son intérêt, paradoxalement. En somme, il convient de ne pas trop hâtivement folkloriser (folchloriser, kitschiser ?) le folklore en tant qu’expérience latérale du monde ou exploration des marges culturelles. Même si « la science des traditions populaires » ne s’est elle que rarement départie d’une visée encyclopédique, érudite et archivistique qui muséifia en somme son objet selon une logique formelle et classificatoire. 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Replacer le folklorique dans l’extraordinaire du quotidien en somme ? 

J.M. P. – Le folklore des folkloristes en tout premier lieu ! Mais aussi le folklore métiers, le folklore du mariage et de l’amour, le folklore des teenagers et des seniors, le folklore des cafés, le folklore des inaugurations, le folklore de la conversation, le folklore privé, le folklore de la ville moderne, le folklore des grandes écoles et de l’administration, et pourquoi pas le folklore de la République [Agulhon : 1995]. Autant dire que si les folklores ne sont certes pas éternels, ils sont bel et bien présents, disséminés, profus ou diffus. Le folklore comme intermittence de la culture, si je peux risquer cette formule ! Tel est du moins l’un des renversements de la perspective classique que je suggère ici, avec beaucoup d’autres (Bronner, 2012 : 23-47). Une définition extensive du folklore présupposerait toutefois pour être véritablement fondée une théorie de l’histoire, une théorie de la société et une théorie de la culture… Sur le site actuel de l’American Folklore Society on peut lire que le folklore est « a broad field of study that concerns itself with the ways in wich people make meaning in their lifes. » Make meaning in my life… is my life ! C’est une définition certes généreuse et moderne, mais trop englobante, qui quasiment détruit la spécificité de son objet. Disons en tout cas comme Gramsci (1950 : 215-221) qu’en tant qu’objet d’études le folklore est loin de se réduire à « una bizzarria, una stranezza  o un elemento pittoresco » et que si le folklore est « una cosa seria e da prendere sul serio » c’est qu’il est bien, fût-ce à la va-comme-je-te-pousse, « una concezione del mondo e della vita », une matrice de pratiques et d’(en-)jeux symboliques comme nous dirions aujourd’hui. 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Nous n’avons peut-être pas assez insisté, mais le gouvernement de Vichy et la collaboration avec les nazis sont pour beaucoup dans la compromission du terme et son refoulement des sciences humaines en France30.

J.M. P. – C’est vrai. Il suffirait d’examiner l’évolution des titres (et des contenus) des revues spécialisées dans le domaine. Par exemple Ethnologie française succède, en 1973, à la revue Arts et traditions populaires qui, elle-même, faisait suite à Folklore paysan qui plus anciennement se publiait à l’enseigne du Folklore vivant. Mais le brouillage puis le stigmate historique du folklore dans la sphère savante et politique c’est à la fois l’héritage d’une militance et d’un impérialisme. Ainsi, par exemple, en 1938 paraît à Carcassonne sous l’égide du Groupe audois d’études folkloriques le premier numéro de la revue Folklore : la dynamique culturelle et sociale du Front populaire n’y est pas étrangère, il s’en faut (GARAE, 1982). L’intelligenstia européenne et française des années 30, y compris les institutions les plus officielles de la République (Inspections Académiques, Universités, Musées, etc.) convergeaient dans cette idée que les études folkloriques étaient un devoir d’humaniste (où se combinaient les figures du savant, du lettré, de l’historien et du patriote) et entraient de droit dans la construction des nouvelles sciences de l’Homme (Barthelemy et Weber, 1989 : 125-237). Sans remonter à Gaston Paris ou au Museo Arlaten de Mistral et à son Tresor dóu Felibrige, les Travaux du 1er Congrès international de folklore (publiés à Paris en 1937) suffisent à rappeler combien les plus autorités de l’Etat espéraient alors trouver dans le folklore, ses thèmes (littératures orales, arts populaires, artisanats, costumes, musiques, théâtres, danses, fêtes), ses institutions de recherche et de valorisation, ses acteurs eux-mêmes, un horizon de « coopération universelle » pour l’animation et la compréhension de la « vie entière » de chaque peuple (Travaux, 1938 : 436 et 439)31

          Mais on sait aussi l’usage narcotique massif que le stalinisme et le soviétisme feront des colorés folklores paysans (vu par les politburos, les prolétariats ne sauraient être voués au « folk »). Et si le paradigme primitiviste conduit à reconnaître l’existence universelle du folklore (y compris d’un folklore préhistorique), cette idéologie préside aussi à la création en 1928 d’une Société et d’une Revue de folklore français et de folklore colonial. Les mouvements de libération populaire et de décolonisation ne pouvaient qu’envoyer aux enfers et le mot et la chose. 

             Ce point est dessiné à larges traits, bien sûr. La situation est en effet différente dans de nombreux pays européens où le folklore national est consubstantiel à la création des États politiques modernes et à la rêverie culturelle moderne sur un patrimoine matériel et immatériel qui lie les citoyens et les relie à un passé vivant en chacun d’eux sur un mode intime et collectif. En Finlande, par exemple, il existe une chaire de folkloristique depuis 189832. Et toujours pas en France. Quel folkloriste par ailleurs ne connaîtrait le fameux Folklore Institute d’Indiana University et ses publications ? La Storia del folklore in Europa (Cocchiara, 1971) ne sera jamais traduite en français, à l’évidence, pas plus que n‘existe en France l’équivalent de la magnifique revue gramscienne La Ricerca folklorica. Un dernier exemple parmi tant d’autres ? J’ai sous les yeux un très bel ouvrage de plus de 400 pages serrées, publié récemment par Oxford University Press : Dictionary of English Folklore (2003)33. C’est proprement fascinant – au regard de notre académisme.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Donc le folklore a bien un référent concret et spécifique ? Qu’est-ce qui ferait folklore aujourd’hui ? 

J.M. P. – Tout, ou presque ! Je pense à des conceptions aussi extensives qu’hypo-théoriques peut-être à propos des topics du folklore qui couvrirait un arc, un arc-en-ciel, très large :

[…] from fairy tales to jump rope rhymes, from creation myths to YouTube videos, from women’s culture to digital media, from intellectual property to traditional ethnic customs, from analysis to religious belief systems, from hand-made furniture to street slang, and from clothing to architecture […]. (American Folklore Society, 2013).

On peut aussi répondre de façon aussi substantielle mais moins substantialiste en pensant par exemple aux micro-logiques différenciées d’usage des espaces publics, non pas le folklore codé des manifestations politiques ou sous un autre jour le folklore lettré et artiste des Cris de Paris, mais les façons journalières de parler haut dans un entre soi fugitif et labile, l’improvisation réglée d’une gestualité amicale et bruyante, le rire sonore et joyeux de trois jeunes filles dans cette rue passante qui une seconde leur appartient. Ou encore le sifflement joyeux ou mélancolique du passeur solitaire qui contrevient au standard du comportement correct en société (siffler vs parler), ce sifflement suppose une technique du corps apprise par pure imitation et tâtonnement empirique (apprend-on à jouer de son propre corps dans les conservatoires de musique ?) manifeste une forme de résistance têtue et certes ténue mais spontanément perçue comme culturellement dissonante, disqualification qui n’atteint, bien au contraire, ni le folklore du vent ou de l’oiseau qui sifflent . Ce petit folklore de la conversation et du corps expressif pas vraiment converti aux usages prescrits plus ou moins explicitement par le bon goût (existe-t-il en la matière des usages vraiment respectueux d’une norme de discrétion et de courtoisie aussi improbable qu’irréaliste?), ce tutoiement d’un monde urbain moderne où l’art des mots se mêle au bazar des sons, chanté par Apollinaire (Alcools, « Zone », 1913) : 

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
 
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
 Neuve et propre du soleil elle était le clairon

Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent

J’aime la grâce de cette rue industrielle […]

C’est cet usage de la rue où se rencontrent – ici sous la plume du poète – art moderne et folklore ordinaire urbain qui serait à observer de très prés, les criailleries des couleurs et des senteurs tempérées par les règlements municipaux, les petits plaisirs de l’expression vive et du brouhaha arrachés au conformisme de l’évitement bourgeois, etc. C’est là que se jouent sans cesse et parfois à vif les compromis entre les devoirs policés et prévisibles des citoyens et les renégociations permanentes d’usages hétérotopiques des espaces communs qui échappent peu ou prou aux imaginaires administratifs du bon usage. Ce feu d’artifice des bruits et des cris, insupportable à l’ordre établi quand il n’est pas contrôlé (les oh et les ah ! du feu d’artifice du 14 Juillet), constitue un fait folklorique à la fois minimaliste et incessant, aussi important en tout cas selon moi car profondément incorporé que les pratiques irrégulières de l’espace planifié et géométrisé de la ville, moins visible mais plus audible et plus sensible si je puis dire ! 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Comme une dissidence à soi-même ou une dissonance de soi à soi… Il y aurait toujours quelque folklore en nous ? 

J.M. P. – Ah ! oui, j’espère bien ! Il serait amusant d’imaginer un folklore du mistral ou même le folklore de tel moineau, je veux dire une attention aux performances siffleuses et frondeuses de l’un ou de l’autre. Bachelard, les poètes phénoménologues et les amoureux de la nature sont attentifs à ces folklores inouïs qui appartiennent au chant du monde. Pas seulement le folklore de l’eau mais l’eau qui fait son folklore, l’eau folklorique34. Ou l’image dans la pierre (Caillois, 1970). Pas seulement le folklore de la pomme de terre, mais les remarques amusées et exclamatives sur les bizarreries de ses formes lors de sa récolte manuelle. Ce n’est pas – pour prendre un dernier exemple – la ligne de crête qui mime un dos de dragon ou ressemble à une vieille femme couchée. L’empoétisation folklorique du regard sur le monde exige que le dragon soit la montagne et que le corps de la montagne soit la vieille légendaire. 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ On peut réfléchir sur un exemple plus classique, les anniversaires, par exemple ?

J.M. P. – Les anniversaires, oui, sont passés dans la culture folklorique, familiale ou amicale, ou même scolaire. Jusque dans les années 1950, dans les pays chrétiens et d’influence latine, on fêtait les anniversaires à la date de célébration calendaire du saint patron sous lequel notre prénom nous plaçait – laquelle date est, en fait, la date vénérable de son natalice, c’est-à-dire de sa mort au monde terrestre et de sa naissance au monde éternel. Ce système symbolique religieux rattachait évidemment la communauté des vivants et la communauté des morts. Cette fête du saint anniversaire du saint patron, sans être un article du dogme catholique, rentrait néanmoins dans le cadre des coutumes chrétiennes encouragées, l’événement paradigmatique de la Nativité ayant un statut mythique particulier. Que s’est-il passé ? La cosmologie catholique s’est effondrée, à tel point que cette généalogie de la fête est ignorée de la plupart des gens.

En fait, on sait bien que c’est avec la Réforme et le protestantisme anglo-saxon que le culte des saints disparaît et que l’individu moderne apparaît. On passe de l’âge théologique à l’âge sociologique. On célèbrera désormais les anniversaires de naissance de l’individu biographique, fête d’anniversaire encore accentuée par la laïcisation de la société et l’épiphanie, si j’ose dire, du sujet bourgeois moderne. Ce petit rite cyclique du temps personnel devient un trait (assez monotone d’ailleurs) de notre culture folklorique : il n’est plus assumé ni en principe organisé par aucune instance légitime, officielle, religieuse ou non. C’est par contre, et ce n’est pas contradictoire, une contrainte rituelle sociale extrêmement forte pour les nouvelles générations, et notamment quand il s’agit des enfants. C’est une coutume très vivante qui a force de loi dans l’imaginaire de notre socialité : du pur folklore, au sens d’une praxis ritualisée qui ne s’autorise que d’elle-même, qu’aucune institution autre qu’imaginaire n’impose et ne garantit plus. Folklore oblige.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Le trajet de cette coutume ressemble assez à celui du Père Noël décrit par Claude Lévi-Strauss35.

J.M. P. – Oui, sans aucun doute, au moins en termes de transfert de sacralité et de rituel de socialisation. C’est la pensée sauvage contemporaine des civilisés. Bon gré mal gré. Max Weber évoque « la haine rageuse des puritains » d’autrefois contre la « moindre réminiscence de salut magique ou sacramentel » qui s’exerçait sur la fête de Noël (tout autant que sur l’Arbre de Mai ou ce qu’il appelle « l’art sacré spontané »). Et sa conclusion glacée fait date dans l’histoire politique et culturelle du folklore : « L’ascétisme s’étendait comme un manteau de givre sur la merrie old England »… (Weber, 1964 : 205-206)36

Mais revenons à aujourd’hui. Ce folklore-là est étonnant sur le plan théorique car on observe comme un jeu de miroir entre plan liturgique (Noël, l’enfant Jésus) et plan folklorique (Père Noël). En réalité, dans des pays comme la France qui connaissent depuis un siècle la séparation de l’Église et de l’État, la tendance a été à la fois de dissocier le folklore du christianisme, dont les liens cosmologiques et historiques avec (contre) la religion sont pourtant structurels, mais aussi de refouler l’un et l’autre comme altérités anachroniques ou archaïques. Or, pour les fêtes de Noël, c’est un joyeux syncrétisme culturel qui s’impose encore au terme d’une transaction symbolique entre générations. Ainsi, la conjonction labile d’une oralité enfantine, d’une croyance par corps et d’une communauté d’illusion engendre non pas des monstres d’un autre âge, mais notre fête des fêtes. Ce syncrétisme festif englobe évidemment les fêtes profanes de fin d’année où le bon Saint Sylvestre (dont nul ne se soucie) préside en aimable Bacchus aux bruyantes réjouissances et aux rituelles bombances, une sorte de potlatch37 que nos sociétés se donnent à elles-mêmes et dont les Champs-Elysées seraient pour la France le lieu théâtral symbolique et géométrique. 

 

Une poétique élargie 

A. D.-H. –​​​​​​​  Et les liens du folklore avec les arts ou avec l’Art, avec l’art des autres ou l’autre de l’art, aujourd’hui ?

J.M. P. – C’est très compliqué car toujours très situé (ou instrumentalisé, du marketing à la propagande). Le problème est historique et idéologique, comme on l’a vu, tout autant qu’épistémique et esthétique stricto sensu. A fortiori à l’échelle du monde. On trouvera des illustrations – à tous les sens du terme – de cette situation dans ce livre-même que vous avez coordonné. Nous pourrions peut-être inscrire cet ouvrage dans le prolongement des remarques acerbes et constructives de Le Corbusier (1952) qui s’en est pris très vivement en son temps au « bourgeois-roi », pitoyable prédateur et réducteur de cultures : « Le folklore est usurpé par les paresseux et les stériles, pour remplir l’air d’un bruit assourdissant de cigales, pour chanter faux avec le chant et la poésie des autres. » Le Corbusier appelle de ses vœux, au nom d’une poétique élargie » et de « l’émoi humain », un « folklore d’aujourd’hui (…), magnifique et intense » au plus loin des morbides résurrections et des vaines restaurations (les arts régionaux ? la langue d’oc ? le péplum de Duncan ? la vaisselle de Lunéville ?) : « De tels divertissements anachroniques peuvent chatouiller M. Homais, qui a garni sa cheminée de deux potiches japonaises de la Compagnie des Indes. Sus à M. Homais ! Il faut voir clair et s‘occuper des affaires présentes. » Et de conclure qu’en ce siècle de « précision » où règne la machine, des moyens neufs et des besoins neufs qui donneront corps à des œuvres neuves : « Le travail a commencé. L’unanimité d’un sentiment neuf (…) tend à établir des standards qui seront notre folklore38 » (Le Corbusier, 1996 [1925] : 27-37).

Cette vision reste très optimiste si l’on se réfère aux conceptions des institutions internationales sur le folklore, telles que codifiées par exemple par l’UNESCO. Elles ont été marquées pendant très longtemps par une sorte de relativisme culturel traditionnel et comment dire, plus diplomatiquement correct que conséquent sur le plan scientifique : 

Le folklore (ou la culture traditionnelle et populaire) est l'ensemble des créations émanant d'une communauté culturelle fondées sur la tradition, exprimées par un groupe ou par des individus et reconnues comme répondant aux attentes de la communauté en tant qu'expression de l'identité culturelle et sociale de celle-ci, les normes et les valeurs se transmettant oralement, par imitation ou par d'autres manières. Ses formes comprennent, entre autres, la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes, l'artisanat, l'architecture et d'autres arts. (UNESCO, 1989)

Il conviendrait en fait de parler au passé (récent) car l’UNESCO a officiellement éliminé de sa terminologie en 2002 le terme de « folklore » comme « inadéquat » ou « inacceptable » (l’organisation invoque les « connotations indésirables » du mot dans certains pays et des difficultés de définition compréhensive sur le plan intellectuel). Il n’est plus question désormais que du fameux « patrimoine culturel immatériel » qui, « transmis de génération en génération », recouvre « les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle ; les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. » Ce patrimoine (le mot demeure muséal…) et immatériel (l’adjectif est malheureux) est considéré toutefois comme « constamment recréé par les communautés en fonction de leur milieu et de leur histoire ». Ces sortes d’interactions stylisées d’une culture avec elle-même sont censées procurer « un sentiment de continuité et d’identité » qui contribue à « promouvoir la diversité culturelle et la créativité de l’humanité » (UNESCO, 2003 et 2013)39. Comme le résume assez rudement N. Heinich : 

Voilà qui suffit à dater le texte de la convention, où se retrouvent les grandes thématiques académiques des années 2000 : patrimoine culturel (contre l’économisme), autodétermination des communautés (contre le colonialisme), capacités d’action des individus (contre le déterminisme), sentiment d’identité (contre les assignations statutaires), droits de l’homme et écologie (contre la toute-puissance des États). (Heinich, 2012 : 227)

Je dirai pour ma part, en première approche, qu’en Europe, en tout cas depuis le romantisme (Fabre, 2010 : 5-75), nul ne saurait contester que le folklore verbal (sa beauté, sa liberté, sa créativité, sa marginalité même) représente une partie constitutive de la culture des peuples, des communautés et souvent des personnes privées. On a appris à l’école que ce jugement se rencontra jadis chez quelques écrivains à l’audace culturelle exceptionnelle, Villon ou Montaigne. On a en mémoire la deffense et illustration de l’oralité poétique et folklorique (ou para-folklorique) par l’auteur des Essais

La poésie populaire et purement naturelle a des naïvetés et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poésie parfaite selon l'art ; comme il se voit es villanelles de Gascogne et aux chansons qu'on nous rapporte des nations qui n'ont cognoissance d'aucune science, ny mesme d'escriture40. (Montaigne, Essais I : 54)

P. Bogatyrev et R. Jakobson ont écrit, il y a fort longtemps (Jakobson, 1973 : 59-72), un article fameux de poétique comparée sur le sujet où est posée fort clairement la différence entre l’originalité artistique hypermoderne (présentiste, u-topique, narcissique) et cette sorte de singularité collective propres aux arts folkloriques. On peut ainsi imaginer que les relations entre compétence artistique partagée et performance culturelle nouvelle ont quelque rapport analogique avec la dynamique des relations entre langue et parole :  

Comme la langue, l’oeuvre folklorique est extra-personnelle et n’a qu’une existence potentielle […]. Dans la mesure où les innovations individuelles dans la langue (ou dans le folklore) répondent aux exigences de la communauté et anticipent sur l’évolution régulière de la langue (ou du folklore), elles sont intégrées et deviennent faits de langue (ou éléments de l’œuvre folklorique). (Jakobson, 1973 : 63-64) 

Cette approche linguistique éclaire en tout cas plusieurs phénomènes sémiotiques de première importance si on pose comme hypothèse que le folklore fonctionne de la même manière que le langage « dont on ne connaît ni les lois ni l’origine et qu’on utilise cependant après un apprentissage lui aussi traditionnel (Belmont, 1975, 38). On imagine la puissance des oralités folkloriques qui conjoignent le somatique, le sémantique et le sémiotique… et procurent ainsi le sentiment indigène d’une culture naturelle, jusque dans ses variations historiques et ses accommodations locales. L’inclusion du folklore dans la communication langagière est assez pédagogique aussi, si je puis dire ; elle conduit à distinguer commodément les plans de l’analyse en diachronie comme en synchronie : le folklore comme (re)-production (le folklore du peuple / pour le peuple / par le peuple), le folklore comme transmission (la fameuse et trompeuse ‘tradition’) et le folklore comme processus dynamique de sélection ou de réappropriation de traits culturels endogènes ou exogènes. Mais ces perspectives ne disent rien stricto sensu de la dimension esthétique ou stylistique du folklore. Pas plus que la fameuse définition du folklore comme « artistic communication in small groups » (Ben-Amos, 1971 : 3-15). 

C’est là où la transmission (la « tradition » au sens anglais n’est-ce pas), la transmission orale improvisée, latérale, improbable ou plus délibérée joue un rôle central, notamment chez les enfants qui s’émerveillent toujours de parler aux bêtes . Parler c’est communiquer ? Oui, avec les animaux… surtout si c’est totalement hors du sens commun ! Il arrive ainsi que la comptine dynamise ce que Bachelard appelait une « image initiale », alors même que cette image appartient le plus souvent à « l’indestructible bazar des vieilleries de l’imagination humaine ». Bachelard remarquait à ce propos que « le folklore est rempli de chansonnettes qu’on chante à l’escargot pour qu’il montre ses cornes » et que la magie verbale se double parfois d’un petit rite tactile quand l’enfant « s’amuse aussi en le taquinant d’un brin d’herbe  à faire rentrer l’escargot dans sa coquille » (Bachelard, 1994 : 118). C’est l’escargot qui doit rentrer dans sa coquille, pas la magie du verbe, au plus loin de la rationalité ordinaire… 

C’est là où la littérature écrite cette fois, entre invention et réinvention perpétuelle d’un folklore oral joue sans doute un rôle majeur. Il suffit de rappeler ici à titre suggestif les rondes des jeunes filles du Valois accompagnées de leurs poèmes chantés qui charment tant Nerval et ses lecteurs pour saisir comment ce folklore qui associe rite, jeu, musique, poésie, corps, communauté restreinte crée un sentiment de plénitude et une sensation de beauté, un « ravissement » dira l’écrivain (Bénichou, 1970). Ce charme n’était pas étranger aux investissements des premiers faussaires en folklore oral, des artistes romantiques – ces artisans de l’art - les plus épris de libertés créatives face aux canons du classicisme, et des folkloristes eux-mêmes engagés dans la quête des arts traditionnels et populaires, partagés qu’ils étaient entre un positivisme plus ou moins académique et un attirance pour les séductions d’une allure poétique à sauts et à gambades (Fabre, 2009 : 4-37 ; Privat, 2011 : 237-273). Les revues de folklore trouvèrent d’ailleurs une partie de leur légitimité culturelle en affichant  « arts populaires » leurs rubriques et jusque dans leurs titres, tout comme le défunt Musée des Arts et traditions populaires. L’art est le côté le plus acceptable du folklore pour notre ethnocentrisme lettré (certes l’art folklorique peut être l’expression même du kitsch et du pitoyable esthétique, mais on peut toujours se débrouiller pour dénicher le beau dans le vulgaire, et même y gagner quelque plus-value symbolique) ; mais dans le même temps, le folk art, si éloigné soit-il du fine art, expose toujours à faire l’expérience déstabilisante d’un investissement hétérodoxe dans l’art sans art… 

Ma deuxième réflexion voudrait attirer l’attention sur le fait que non seulement la parole mais surtout l’image, la danse et la musique (a fortiori toute synchronisation de ces arts41) participent de cet « expressive life » dont parlent volontiers les folkloristes américains42, ces arts de faire ordinaires ou extraordinaires où s’inventent et se réinventent sans cesse des aventures esthétiques et des explorations des effets esthésiques de l’art. On est un peu loin, dans tous ces cas de figure du folklore comme culture résiduelle, geste auguste du potier indigène ou pittoresque coiffe bretonne… Ces expériences et ces essais s’entrecroisent et se dialogisent aujourd’hui dans le flux mondial des imaginaires (plus ou moins) ensauvagés et (toujours plus) polyphoniques. Je fais d’ailleurs l’hypothèse que les arts savants ou lettrés sont jusqu’à aujourd’hui beaucoup plus liés à l’ordre graphique et à l’empire de la ligne droite continue (l’emprise de l’écriture) que les styles folkloriques qui se définiraient plutôt par un usage de lignes entrelacées, courbes ou brisées, discontinues ou rayonnantes et mêmes géométriques (losanges, triangles), mais sans valorisation particulière de l’horizontalité linéaire. Et pas seulement en raison de contraintes techniques et fonctionnelles ou de recherches de l’insolite, mais peut-être parce que plus directement en « affinité symbolique avec les dimensions fondamentales de l’expérience » (Cuisenier, 1975 : 192).

Enfin, les relations entre productions artistiques et cultures folkloriques semblent constitutives de nos imaginaires contemporains (bandes dessinées, littérature de science-fiction, chanson, e-culture, fêtes) dans l’exacte mesure où le folklore serait bien cet espace de jeux et de ruses, cette réserve d’altérités buissonnières et hybridées43, aux marges des arts reconnus et des pensées attendues44. Ce métissage de métis45, si j’ose dire, est en négociation plus ou moins vive et vivante avec des formes esthétiques inscrites dans les espaces symboliques mondialisés des industries culturelles (Bertho-Lavenir, 2012 : 719-731) ; et en renégociations toujours plus intenses et constantes si l’on admet l’idée que la folklore touch est à la fois le symbole (fakelore vendu à tous ou ego-folklore, ce « folklore intime » que dès longtemps on héberge, loin des « trop claires arêtes » (Leiris, 2003 : 1024-1025)46 – et le symptôme même de systèmes poïétiques ancrés dans des mondes particulièrement entropiques et inégalitaires, comme aujourd’hui (et non relativement homogènes sur le plan culturel comme dans certaines sociétés anciennes précapitalistes). Ce n’est pas un hasard si le new folklore (la musique et la chanson particulièrement) accompagne aujourd’hui les luttes politiques sur le continent sud-américain.  

C’est l’objectif de cet ouvrage je crois que de bousculer les évidences, et de mettre en évidence et en valeur ces pratiques et ces processus parfois poétiques, au plus loin de ce que fut le périmètre assigné jadis au folklore : local, oral, rural, ancestral, ruminal. En somme, évitons a priori sinon à tout prix de confondre « folklore » et « folklorisme » (Certeau, 1980 : 49-80) et de forclore trop hâtivement les expériences folkloriques d’aujourd’hui, non plus leurs survivances, mais leurs vivances

  • 1. Première publication dans L’art du folklore. Europe, Afrique, Amériques, sous la dir. de M. Cariz, A. Demotte-Halter, S. Roth et V. Trancart,PUN-Éditions-universitaires de Lorraine, « EthnocritiqueS », 2014, p. 273-312.
  • 2. C’est sous la plume d’Arsène Darmesteter, un linguiste, qu’apparaît pour la première fois en France en 1877 le terme folk-lore et c’est le Comte de Puymaigre qui en 1885 publie en français le premier ouvrage intitulé Folk-lore (Legros, 1962 : 2-47), bientôt imité par un autre Comte (de Charencey, 1894).
  • 3. Les jours et les nuits du romantisme poétique et du surréalisme onirique valorisent le primitivisme culturel et sa mythologie antimoderniste : « De tout temps, j’ai aimé la pureté, le folklore, ce qui est enfantin, primitif, innocent. » (Leiris, 1973 : 137)
  • 4. Abel Hugo, le frère de Victor, a composé (compilé) une France pittoresque sous-titrée « description pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies de la France ». Les mœurs, coutumes et costumes, caractères et langages du peuple y sont exposés sommairement mais en bonne place. Voici à titre d’exemple, un extrait de cette étonnante prose narrative où se mêlent - à propos de l‘influence espagnole sur les habitants du Roussillon ici – jugements moralisateurs, sourde inquiétude politique et une forme d’admiration retenue pour des mœurs expressives : « Là, les courses de taureau sont encore en honneur ; le laboureur quitte sa charrue, l’ouvrier sa boutique, pour courir à ces fêtes sanglantes […]. Le peuple est à la fois sobre et enclin à une ostentation de prodigalité, vif, irascible et ami d’une douce indolence. Sa vigueur et son énergie, une fois mis en mouvement, le rendent capables de souffrir les plus dures fatigues, d’affronter les plus grands dangers. Hors de là, son existence est toute passive, toute intérieure : c’est le sommeil de la force »… (Hugo, 1835 : 26).
  • 5. Pour exemple, L’Origine des masques, mommerie, bernez et revennez es jours gras de Caresme prenant, menez sur l’asne a rebours et charivary. Le jugement des anciens peres et philosophes sur le subject des masquarades, le tout extraict du livre de la mommerie de Claude Noirot, juge en mairerie de Lengres et datant de 1609.
  • 6. Les Instructions pour un Recueil général des poésies populaires de la France furent diffusées en 1853 sous l’égide d’Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique et des Cultes, et sous la responsabilité d’un Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France (1852-1857). Les archives de ces collectes administratives de chants (et parlers) populaires sommeilleront longtemps dans les réserves de la Bibliothèque Nationale. Il n’est pas sûr qu’il faille vraiment le regretter : « La connotation passéiste et conservatrice de l’opération politiquer qui entend promouvoir de manière volontariste ce domaine d’objets en valeur de sincérité affectera durablement, en France, la détermination d’un secteur de connaissances – la chanson folklorique – facilement moralisé sous les vertus de pureté et d’authenticité par une vision rétrospective, probablement plus idéologique que véritablement heuristique. » (Cheyronnaud, 1997 : 17).
  • 7. Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages fut fondée par Henri Gaidoz et Eugène Rolland en 1877-1878 et la Revue des traditions populaires, dirigée par Paul Sébillot, en 1885.
  • 8. Gramsci distingue les formes « fossilisées » d’un folklore passé et dépassé (conservateur et réactionnaire) et les formes nouvelles, parfois inventives et en rupture délibérée sinon organisée avec les normes de la légitimité culturelle. A vrai dire, si ce type de distinguo à un sens, l’opposition culture héritée / culture créative ne me paraît pas plus spécifique aux cultures subalternes qu’aux cultures hégémoniques, surtout si le folklore est une « filosofia spontanea » proche d’un sens pratique présent dans le langage de tous les jours, dans le sens commun et les systèmes interprétatifs incorporés, bref dans l’univers sémiotique, sémantique et somatique ordinaire.
  • 9. On pense aussi bien aux travaux de S. Freud ou de E. Jones sur le folklore comme irruption d’une logique affranchie des normes civilisées qu’aux analyses mythographiques et artistiques de F. Boas ou de Cl. Lévi-Strauss ou encore à la folkloristique structurale de V. Propp à A. J. Greimas.
  • 10. Sur le conflit des cosmologies en littérature voir par exemple Descombes (1987 : 181-193).
  • 11. Le roman en fournit de très probants exemples : « Elle entendit tout au loin, au-delà du bois, sur les autres collines, un cri vague et prolongé, une voix qui se traînait […] » (Flaubert, 1971 : 165-166); ou encore : « Elle s'emplissait le coeur de ces lamentations mélodieuses qui se traînaient à l'accompagnement des contrebasses, comme des cris de naufragés dans le tumulte d'une tempête. » (Flaubert, 1971 : 229)
  • 12. Cela correspondrait, dans le système de Philippe Descola, à l’ontologie animiste (Descola, 2005).
  • 13. L’apothicaire a composé une Statistique générale du canton d'Yonville, suivie d'observations climatologiques (Flaubert, 1971 : 351).
  • 14. La subtilité analytique (ou la prudence axiologique) extrême du texte consiste ici à faire parler le pharmacien alors que son esprit embrumé sort à peine de ses songes, le surmoi culturel pris en défaut : comme le curé « étouffait un peu dans l’atmosphère trop lourde de la chambre, il ouvrit la fenêtre, ce qui réveilla le pharmacien. […] – Entendez-vous, etc. » (Flaubert, 1971 : 339)
  • 15. Sur les présages de mort – « un chien qui aboie lamentablement dans la nuit » – et les pratiques magico-religieuses du deuil aux ruches – « la coutume se fonde sur une sorte de lien mystique entre la communauté des abeilles et la communauté familiale humaine », voir « L’agonie et le décès » (van Gennep, 1946 : 660, 676-677).
  • 16. L’hétérophonie (ou hétérologie, toujours selon M. Bakhtine) est la diversité plus ou moins belligérante des voix narratives et culturelles sur la scène langagière d’un même locuteur ou dans le jeu interactif entre interlocuteurs, comme ici.
  • 17. Il s’agit de S. Mallarmé (1891 : 870). (n.d.e.)
  • 18. Sur le livre noir du curé et sa perception ambivalente, voir D. Fabre, « Le livre et sa magie. Les liseurs dans les sociétés pyrénéennes aux XIXe et XXe siècles », in Chartier (1985 : 181-206).
  • 19. On se souvient de cette scène censée se dérouler en 1481 où Claude Frollo, « prêtre austère, grave, morose », s’oppose à la venue de la dame de Beaujeu, fille du roi, en son cloître de Notre-Dame et rappelle à son évêque « le statut du Livre Noir, daté de la vigile Saint-Barthélemy, qui interdit l’accès du cloître à toute femme (…) », V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre IV, chapitre V. Dans sa Physiologie du mariage, Balzac fait, lui, une référence humoristique à l’Index Librorum Prohibitorum, « ce Livre noir (…), index de l’histoire des variations de l’église conjugale. »
  • 20. Cette thématique romantique du livre mortifère se trouve chez Baudelaire par exemple (« La voix », Les Fleurs du mal) qui se souvient de sa toute prime enfance où son berceau était adossé à la bibliothèque : « Babel sombre, où roman, science, fabliau / Tout, la cendre latine et la poussière grecque / Se mêlaient. […] » ; et il conclut par cette formule, comble de la perception livresque et funèbre du monde et de soi : « […] J'étais haut comme un in-folio. » Il opposera plus loin dans son poème les cendres de l’écrit à la voix qui chante « comme le vent des grèves »…
  • 21. A. van Gennep publie son opuscule sur Le Folklore chez Stock en 1924. En 1937 est inauguré le Musée de l’Homme avec une section Arts et Traditions populaires consacrée à l’ethnographie française. C’est encore le moment où paraissent les premiers fascicules du Bulletin du Comité du folklore champenois ou du Bulletin folklorique de l’Ile de France et surtout les premiers volumes du Manuel de folklore français contemporain de van Gennep. Le terme « folklore » semble s’imposer encore, mais pour à peine vingt ans. Les usages pétainistes du mot et de la chose le déconsidéreront pour longtemps.
  • 22. Le folklore, paroles et musique de Charles Trenet, 1976.
  • 23. Pour une première approche des mille et une définitions du folklore comme objet de recherche, voir van Gennep (1977 : 19-41).
  • 24. C’est un effet de la civilisation occidentale des mœurs par exemple qui fait qu’il nous est devenu impensable qu’une veillée funèbre puisse être légitimement « joyeuse ». C’était pourtant la coutume (« La veillée : son caractère joyeux », in van Gennep, 1946 : 700-709), même si en principe, comme dans Madame Bovary, « […] les débuts de la veillée sont plus ou moins tristes. » Les usages veulent en effet que bientôt la vie (du corps) reprenne ses droits, et l’ironie flaubertienne tout autant sa malice : « Félicité avait eu soin de mettre pour eux, sur la commode, une bouteille d’eau-de-vie, un fromage et une grosse brioche. Aussi, l’apothicaire […] soupira vers quatre heures du matin : - Ma foi, je me sustenterais avec plaisir ! L’ecclésiastique ne se fit point prier […] ; ils mangèrent et trinquèrent […], excités par cette gaieté vague […]. » (Flaubert, 1971 : 338-341).
  • 25. Sur une analyse gramscienne de ce problème, voir A.-M. Cirese (1974 : 83-100 et 1976). Sur une étude de cas et des points de vue contradictoires sur le sujet, voir Zapperi (1987 : 697-703).
  • 26. La folklorisation consiste précisément à transformer en spectacle (touristique ou patriotique) des pratiques indigènes qui n’entrent plus dans le système culturel profond (vécu comme une évidence) d’une population. On parle aussi pour décrire ou dénoncer ces situations de folklorisme (Bausinger, 1993) ou de fakelore (Dorson, 1950 : 335-342).
  • 27. M. Maget (1968 : 1276) parle de la combinaison labile d’une valorisation esthétique (la belle ouvrage), éthique (la sagesse des proverbes de l’oralité populaire) et cosmologique (la proximité avec la nature, ses rythmes et ses bonheurs).
  • 28. Les fêtes de Noël et de fin d’année (depuis parfois l’enfantine Saint-Nicolas jusqu’à la familiale fête des Rois) constituent un vivant exemple d’une séquence cérémonielle (liturgique pour certains) qui impose son calendrier festif sur un bon mois d’hiver, sans compter le temps des préparatifs et le temps des souvenirs où la ritualité irrigue la vie sociale et le for intérieur de chacun.
  • 29. Par bien des aspects, l’histoire du folklore est un jeu de désenchantement – ré-enchantement ou d’euphémisation de l’indécent ou de l’impensable d’une culture qui domestique l’organique et refoule les manifestations vulgaires de la sexualité. Pensons aux Kryptadia (1884), recueils (anonymés) de folklore obscène européen confinés dans l’enfer des bibliothèques cultivées et imaginons l’audace (humaniste) d’Antonin Perbosc, instituteur ethnographe (1984 ; 1987). Cette posture morale et moralisatrice se traduit par une extrême rareté des publications scientifique sur ces sujets.
  • 30. Je pense par exemple au travail de C. Faure (1989) et à la mise au point de M. Maget (1993 : 90-107), à la contribution de D. Fabre (1997 : 319-400), enfin aux contributions réunies par Christophe (2009).
  • 31. Sur une critique très documentée du « romantisme nationaliste et populiste » si consensuel lors de ce congrès et sur une analyse très précises des effets théoriques et méthodologiques, idéologiques et politiques, fort ambigus de la manipulation des cultures folklorisées ou folklorisables, voir Velay Vallantin, 1999 : 481-506. Voir aussi sur cette période très cruciale dans le destin français et européen des représentations du folklore, S. Pear, 1998. Il n’y aura pas de 2e Congrès... Il faudra attendre 1971 pour un rassemblement européen de même ambition, sur des bases théoriques plus scientifiques (ethnologiques, sémiotiques, muséographiques) ; quant aux communications, elles furent souvent plus marquées par des problématiques moins innovantes (Actes, 1973).
  • 32. Les célèbres FFC (Folklore Fellows’ Communications, Helsinki) qui publient des travaux fondamentaux en folkloristique existent depuis 1910.
  • 33. La revue Folk-lore est publiée à Londres depuis 1890 par la Folk-lore Society. Le Journal of American folklore est publié par l’American Folk-lore Society depuis 1888.
  • 34. Tel le chant « terre et eau » de la cruche de grès et les autres « poètes naturels de la terre » dont parle Neruda dans ce volume même, p. 134-135.
  • 35. C. Lévi-Strauss, « Le Père Noël supplicié », Les Temps modernes, 1952, n° 77, p. 1572-1590. Texte repris récemment dans Lévi-Strauss (2013 : 15-47).
  • 36. Les travaux de E. P. Thompson (1991) sur la fracture entre « polite culture » patricienne et culture plébéienne dans l’Angleterre « pré-industrielle », entre confrontations symboliques et rebellions sociales, sont très importants et initient en quelque façon à l’englobement de la problématique des folklore studies dans les cultural studies à l’anglo-saxonne.
  • 37. Sur la destruction somptuaire des richesses et le gaspillage ostentatoire des biens en quoi pourraient se résumer très sommairement l’esprit du potlatch, voir Mauss (2007).
  • 38. Les liens entre le folklore et l’art moderne étaient une évidence dans les années 30. L’Exposition internationale de New York en 1939 aurait pu en témoigner avec quelque éclat, si, intersigne funeste, le bateau qui transportait la contribution française n’avait fait naufrage... Le folklore artistique, expression du génie national, sombrera dans la tourmente de l’Histoire.
  • 39. Sur l’historique des discussions qui ont conduit l’UNESCO à ses positions officielles actuelles sur le « patrimoine culturel immatériel » et par voie de conséquence sur le statut symbolique du « folklore » dans sa phaséologie, on pourra se reporter très utilement au document synthétique issu de la conférence internationale de Chengdu (Chine, juin 2013) sur le site de l’organisation : www.unesco.org/culture/ich/doc/src/20548-FR.pdf. Pour une analyse critique du point de vue anthropologique, voir le dossier réuni par Bortolotto, 2011  (n.d.e.) et en particulier les décapantes analyses de D. Noyes (2011 : 125-148) sur la « nationalisation de la culture populaire » - et les formes locales « d’altérité domestiquée » (communication personnelle).
  • 40. Si l’on réduit le folklore oral à l’oralité première, à un mythique âge d’or(-alité), alors le folklore verbal vivant n’existe effectivement plus. C’est la représentation romantique et datée du problème. Si l’on accepte par contre de considérer l’oralité comme elle-même historique et plurielles dans ses formes et ses fonctions, alors rien ne s’oppose plus, ni en théorie ni en pratique,  à participer aujourd’hui d’une manière ou d’une autre à la production verbale et à la signification culturelle d’une performance folklorique orale.
  • 41. A.-J. Greimas (1973 : 63-72) a proposé de distinguer des configurations socio-sémiotiques et ethno-sémiotiques, où les langages disjoints – la musique, la danse, le théâtre –, les fonctions ludico-esthétiques et les logiques individuelles d’appropriation se substituent à des codes pluri-sémiotiques – une fête –, des connotations sacrales – une croyance – et des praxis collectives du sens – un rite. Dans le domaine des arts, l’opéra ou telle performance de street arts peuvent être perçus et vécus comme des dispositifs à mi-chemin des régimes ethno et socio-sémiotiques.
  • 42. À vrai dire il y a toujours une certaine ambiguïté dans la folkloristique américaine contemporaine qui (me) paraît hésiter entre « expressive life » et « expressive traditions », sur fond de culturalisme et de diversité culturelle universelle : « All people, not only those of minority cultural or ethnic groups, have folklore. » (American Folklore Society, 2013). Les centres d’intérêt historiques sont ainsi « music, stories, folktales, handmade objects, language, customs, beliefs, traditions and rituals », autant de « windows into the worldviews and values of people and communities », actualisés en « art, context, folk, genre, group, identity, performance, text, and tradition. »
  • 43. Pageot par exemple (2011 : 18-22) considère que « la propension de l’art contemporain à l’hybridation, à l’appropriation et à l’infiltration procède de la même logique que celle du folklore. »
  • 44. Le folklore obscène des enfants (Gaignebet, 1980) serait l’exemple paradigmatique des biens sans maître et des artistes sans nom.
  • 45. La métis telle que la définissent Detienne et Vernant (1974 : 10) paraît en effet étonnamment proche de la créativité artistique du folklore en tant que cette forme d’être au monde implique « un ensemble complexe (…) d’attitudes mentales et de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise » et que ces « tours de main, adresses et stratagèmes » s’appliquent à des réalités « fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës » de sorte que la pensée officielle ou autorisée rejette toute cette « pure et simple charlatanerie » au rang de la « routine » ou de « l’inspiration hasardeuse. »
  • 46. Il semble échapper aux chercheurs (souvent critiques) que l’UNESCO (2003 : article1, 2 et 15) considère, à juste titre selon nous, que « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés » concernent non seulement les communautés, les groupes mais aussi, « le cas échéant », les individus, spécialement lorsque ces individus « créent, entretiennent et transmettent le patrimoine culturel immatériel. » Il est vrai que l’idée sous-jacente est surtout de protéger les ultimes porteurs des traditions et/ou de prendre en compte la « production » ou la « recréation » d’un patrimoine dans la perspective du legs culturel à la communauté élargie plutôt que d’encourager l’invention d’un folklore personnel et actuel qui n’engagerait éventuellement que son inventeur et son point de vue subjectif.

Première publication dans L’art du folklore. Europe, Afrique, Amériques, sous la dir. de M. Cariz, A. Demotte-Halter, S. Roth et V. Trancart,PUN-Éditions-universitaires de Lorraine, « EthnocritiqueS », 2014, p. 273-312.
 

Le folklore en France (et ailleurs)1

Alice Delmotte-Halter (A. D.-H.)  La naissance des études folkloriques en France est tardive par rapport aux voisins européens.

Jean-Marie Privat (J.-M. P.)  En effet, en France c’est seulement après la Révolution que les premières études savantes de ce type émergent, entre « antiquités » populaires et étonnantes « survivances ». Ces recherches d’une doulce France encore sauvage ou rebelle aux idéaux de la Raison s’organisent principalement au début autour de l’Académie Celtique (1804-1812) et de son fameux Questionnaire pré-ethnologique : 

Aux approches de l’hiver, les habitants des campagnes s’assemblent-ils pour passer la veillée, appelée perveils, écraignes, etc. ? Quelles pratiques y ont lieu ? Quelles sont les idées superstitieuses qu’on y attache ? Quelles sont les fables merveilleuses qu’on y raconte ? (Belmont, 1995 : 29-30)

Le terme de folklore n’existait pas encore2. Il s’agissait avec ces recherches érudites qui seront bientôt relayées par des enquêtes plus centralisées et plus politiques dans leurs objectifs de mettre en évidence et en valeur deux traits constitutifs d’une mythologie de la France moderne. Le premier geste de cette geste nationale, si j’ose dire, est la reconstitution et la sauvegarde d’un trésor encore vivant des façons de dire et des façons de faire d’une France inscrite dans l’histoire longue des mœurs et des coutumes. Ce patrimoine culturel, réputé issu – plus ou moins imaginairement – des profondeurs anthropologique d’une France préchrétienne (d’où la passion pour les anciens Celtes – y compris chez des écrivains comme Chateaubriand et Nerval – ou, plus tard encore, ce que Paul Sébillot appellera le paganisme contemporain – 1908), est perçu ou présenté comme un précieux contrepoint, souvent populaire, à l’héritage chrétien ou christianisé et en quelque façon officiel de la France monarchique, fille aînée de l’Église.

Cette approche réactive et historicisante qui n’échappe ni aux partis pris idéologiques, évidemment, ni aux séductions de l’archaïsme et de l’autochtonie est le fait de savants. Elle s’accompagne, dès le Directoire puis surtout sous l’Empire, d’injonctions et de méthodes administratives d’enquête et de collecte sur la situation morale et matérielle des populations de la nouvelle nation française, peuple mal connu des campagnes – mondes de l’oralité, de la routine et de la crédulité – dont on entendait et attendait qu’il soit prestement digne du destin historique que lui réservait l’utopie des Lumières (Bourguet, 1984 : 259-272). Ainsi, au printemps 1801, les premiers préfets du Consulat reçoivent-ils mission de partir à la découverte de la France réelle ; il s’agit de connaître les communautés dans leur génie propre mais aussi leur avenir dans le cadre d’une Nation aux accents du progrès tant moral qu’économique. Ces fameuses Statistiques des Préfets constituent une plongée très intéressantes dans les us et coutumes (et les langues) de la France postrévolutionnaire (Bourguet, 1988), l’invention d’une France rurale et patoisante à la fois laborieuse et dangereuse…

Les premières interrogations dans ce champ d’une science de la culture du proche viennent donc d’instances de pouvoirs intellectuels et/ou politiques aux objectifs assez ambigus sinon contradictoires, partagées entre réhabilitation populiste et indexation légitimiste. Malgré parfois des hypothèses assez insolites sur les origines gauloises du vocabulaire, par exemple, ou des pseudo-découvertes archéologiques non moins étonnantes (ou trafiquées), avec le recul on peut s’autoriser à dire que ces travaux inégaux et fortement investis de passion française ont quand même eu le mérite de créer un mouvement d’intérêt pour des univers sociaux et surtout symboliques déconsidérés voire invisibles auparavant. Comme si « peintures idiotes, contes de fées, refrains niais, dessus de portes » et autres « toiles de saltimbanques » tant aimés de Rimbaud3 étaient une source et une ressource de l’estrangement culturel et de ses prestiges inavouables, à portée de livre.

 

A. D.-H.  Une ressource, oui, régénératrice. Auparavant ces peintures et ces contes étaient pourtant associés à une culture païenne, c’est-à-dire dissidente par rapport à l’orthodoxie catholique et aux formes officielles de la culture curiale, urbaine ou bourgeoise. Une culture de fait marginalisée car n’appartenant pas aux codes dominants, presque un contre-pouvoir, perçue soudain après la Révolution comme ancestrale et digne d’intérêt, et dont les paysans seraient les dépositaires privilégiés - à leur insu car eux-mêmes considérés comme hors de l’Histoire ?

J.M. P. – Oui, la pensée évolutionniste constitue implicitement ou explicitement le paradigme de référence à l’époque : les fameuses « survivances » (d’un monde perdu). Les paysans seraient des vestiges vivants du temps passé, des documents humains comme on dira plus tard, des esprits simples ou des simples d’esprit.

Ainsi les antiquaires, ces proto-folkloristes, étaient-ils, à l’origine, en quête du spécimen du plus vieux des paysans, souvent une paysanne d’ailleurs, dans le village le plus arriéré et le plus reculé, le plus à l’écart des villes et des voies de communication. La vieille des hameaux, analphabète, de haute montagne, en somme, vénérable comme une relique culturelle porteuse de croyances inouïes et de savoir-faire étranges pour les esprits éclairés. Il est significatif que l’idée même d’un folklore urbain soit très tardive dans l’histoire de la discipline.

 

A. D.-H.  Ce que l’on appela la « tradition orale », « orale » se confondant alors avec populaire et ancienne ?

J.M. P. – Oui. Et les connotations passéistes et tendrement rétrogrades que le lexique tend à attacher à cette expression sont toujours d’actualité, contrairement à oral tradition ou writing tradition qui mettent l’accent sur la transmission et non sur l’illusoire reproduction éternelle du même. C’est ainsi qu’en France particulièrement, la montée en puissance de l’écrit et de l’imprimé au XIXe siècle, symbole des progrès de la modernité, tendit à rabattre pour longtemps l’oralité sur l’archaïque, le rudimentaire et, bien sûr, le double inversé du véritable citoyen, l’analphabète. On est loin par exemple, des analyses de Walter Benjamin sur l’art du conteur comme un subtil, artisanal et communautaire :

Si les paysans et les marins furent les maîtres anciens de l’art de conter, l’artisanat fut sa haute école […]. Le conteur imprime sa marque au récit, comme le potier laisse sur la coupe d’argile l’empreinte de ses mains. L’art du conteur consiste pour moitié à savoir rapporter une histoire sans y mêler d’explication, pour autre moitié à reprendre celles qu’on a entendues […]. Et plus l’auditeur s’oublie lui-même, plus les mots qu’il entend s’inscrivent profondément en lui. (Benjamin, 2000 : 114-151)

Les ethnographes nous ont appris, de leur côté, qu’il existe toujours, dans certaines régions du monde (Inde, Chine, Afrique, Amériques), des traditions orales inventives et qu’à moins de s’abandonner à un ethnocentrisme primaire, les mondes de l’écrit et ceux de l’oral sont plus poreux et plus hybrides que les théories colonialistes (et ethnographiques) du grand partage le laissaient à imaginer (Goody, 1979 : 245-267). 

 

A. D.-H.  En France, la naissance du folklore vient donc d’une certaine idée du progrès du genre humain articulée à une volonté de surveillance des mœurs populaires et provinciales et ce, dans le cadre d’un projet de (ré-)invention de l’identité nationale. Mais ce contrôle de l’hétérodoxie de la part d’un État alors centralisateur et surplombant – l’Empire – et sous couvert de science n’est-ce pas, en somme, le pouvoir-savoir dont parlait Michel Foucault ?

J.M. P. – Ce fut, en effet, un pouvoir d’État au début du XIXe siècle. Il s’agissait de connaître la distance à d’idéales normes culturelles nationales et non de reconnaître en quelque façon l’hétérogénéité culturelle d’un pays. Les questions sur la moralité des mœurs populaires ne manquaient donc pas d’être posées aux correspondants locaux des "enquêtes"4. Auparavant, c’était un pouvoir d’Église qui, surtout à partir du le Concile de Trente, traquait non pas les antiquités ou les survivances mais les « superstitions », interminables listes de « vaines observances » plus ou moins diabolisées que les bons curés devaient pouvoir identifier et dénoncer comme telles. Mais n’oublions pas que les agents des appareils idéologiques (État, Église), pour parler comme Althusser, baignaient eux-mêmes dans une pensée analogique ou même magique (ou mythico-poétique et religieuse) qui les rendait ambivalents face à l’emprise des faits/fées.

 

A. D.-H.  Sur cette scène, le terme de folklore apparaît tardivement.

J.M. P. – Oui. Le terme de folk-lore, anglais à l’origine, date de 1846 seulement ; il a été créé de toute pièce par le polygraphe et bibliothécaire anglais William Thoms, alias Ambrose Merton, qui proposa devant l’Athenaeum de Londres d’user du mot « Folk-Lore » pour décrire (et sauver de l’oubli) les « manners, Customs, observances, superstitions, Ballads, Proverbs […] of the olden time » (Thoms, 1846 : 862-863 et 886-887). Le terme s’imposa, ainsi que sa définition, aussi générale et vague fût-elle. Le mot fut forgé à partir de termes censés remonter au très vieux saxon : le folk-lore c’est « the Lore of the People », le savoir du peuple et/ou le savoir sur le peuple . Robert Lafont (1986 : 31-37) interrogea naguère cette ambivalence qui est aussi une ambiguïté : «  […] lore, connaissance qu’à le folk, ou connaissance qu’on a de lui ? » Auparavant, on parlait d’ « usages » (songeons à Montaigne : « Chaque usage a sa raison ») ou, plus fréquemment, d’ « erreurs populaires » ou de « préjugés », car la perspective du relativisme culturel fut très longue à s’imposer, ou encore, comme on l’a dit, de « superstitions » quand il s’agissait de rites ou des créances que l’Église ne reconnaissait pas ou plus comme siens. Le vocabulaire en dit toujours plus sur les catégories sociocognitives de leurs utilisateurs que sur la réalité anthropologique des faits. La France des élites et la République jacobine et universelle n’ont jamais eu un rapport simple avec les cultures du peuple. Quel est le rapport de Molière au folklore ? Un usage carnavalesque, certes, dans son principe mais tellement contrôlé… 

 

A. D.-H.  Il a fallu attendre la Révolution et l’Empire pour qu’apparaissent des collectes systématiques. Le clergé n’avait-il rien fait de tel à l’époque classique ?

J.M. P. – Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les prémisses d’un intérêt pour la matière « folklorique » locale ou régionale peuvent se découvrir dans les observations éparses des médecins ou certains témoignages écrits de sages-femmes sur la culture matérielle des pauvres – les usages alimentaires, les soins du corps, les pratiques abortives, etc. – mais aussi incidemment dans les rapports des grands commis de l’État, sous Colbert par exemple, dans le cadre de la connaissance des mœurs ou tempéraments des populations à administrer (caractères physiques et moral, alimentation, ardeur au travail, fêtes païennes, etc.) et d’un État centralisé à construire sur des bases rationnelles, une logique comptable souvent en fait (Trénard, 1980 : 233-245). On trouve aussi des informations sur les us et coutumes populaires dans les relations de voyages (et les guides ou itinéraires pour le voyage, un peu plus tard) dans les provinces françaises des notables et des écrivains déjà, comme La Fontaine en Limousin ou Racine à Uzès, si loin de Paris... Le « folklore » est également mis en scène dans une certaine littérature, réaliste ou facétieuse – je pense à Noël du Fail au XVIe siècle, à Furetière ou à Sorel par exemple au XVIIe siècle – avec néanmoins toutes les conventions d’époque et de genre. C’est sans doute dans des mémoires, au tirage resté confidentiel, d’obscurs érudits de province formés souvent à Paris et en mal de légitimité culturelle5 que l’on trouverait encore de précieuses compilations sur la culture folklorique ancienne.

Mais les deux corpus qui intéressent le plus le folkloriste d’aujourd’hui sont offerts par la lexicographie d’une part, la théologie pratique, d’autre part. Les diverses recherches sur les antiquités de la France et les origines nobles ou populaires de la nation sont symbolisées par les Recherches de la France d’Etienne Pasquier (1560 pour la première édition), conseiller et avocat général du Roy en la Chambre des Comptes de Paris ; on y apprend les « proverbes qui sont tirés en notre langue de ce mot de chaperon » ou encore pourquoi « par manière de gausserie on appelle puceaux ceux qui au souffle de leur haleine rallument une chandelle éteinte ». Pareillement, avec les dictionnaires qui sont tous plus ou moins alors des monuments de défense et illustration de la langue française, on approche d’une sorte d’encyclopédie des usages (linguistiques et symboliques), dans une perspective qui, au fond, sera plus tard celle de l’anthropologie linguistique : « On dit d’un bâtard qu’il est comme le Loup, qu’il n’a jamais vu son père, parce que les loups par jalousie déchirent celui qui a couvert la Louve. » (Le Roux, 1718) 

Toutefois, les archives les plus importantes ou, en tout cas, les plus accessibles sont les écrits multiformes du contrôle des mœurs religieuses, depuis la Réforme et la Contre-Réforme en fait. On est loin bien sûr des premiers travaux systématiques liés à la valorisation officielle (mais à éclipses) des trésors matériels et immatériels du pays6, a fortiori des objectifs savants des premières revues françaises de folklore, revues consacrées à la collecte et à l’étude des mythologies populaires ou à la sauvegarde (livresque) des traditions populaires7. Même si les éléments de folklore du proche sont dispersés dans les archives des visites pastorales du XVIIIe siècle et du XIXe siècles, certaines sont à juste titre très célèbres car très riches et déjà très précises, en tout cas très factuelles (Devos et Joisten,1978). Même si les croyances et les pratiques hétérodoxes y sont énoncées pour y être dénoncées. Il faut dire un mot de l’abbé Jean-Baptiste Thiers et de son fameux Traité des superstitions qui regardent les sacrements selon l'Écriture sainte, les décrets des conciles, et les sentiments des Saints pères et des théologiens (3 volumes, 1697-1704), mine d’informations sur ce que l’orthodoxie construit comme contre-culture magique ou para-culture religieuse.

 

A. D.-H.  Ces cultures hétérodoxes, ces cultures plus ou moins « autres » par rapport à la pensée dominante étaient alors perçues comme dissidentes du seul fait qu’elles n’étaient pas conformes ? Et perçues comme déviantes par le processus de normalisation même ? 

J.M. P. – Exactement. En fait il faudrait distinguer la culture folklorique comme culture (partiellement) autonome, la culture folklorique comme culture marginale ou interstitielle, la culture folklorique comme possible contre-culture, culture de contestation ou de résistance. On touche dans ce dernier cas de figure à la problématique gramscienne et bakhtinienne du rôle d’opposition des altérités culturelles en archipel (je dis « en archipel » car elles ne sont que rarement théorisées et ordonnées pour/par elles-mêmes) ; en quelque façon, elles contestent la révérence et la référence spontanées aux vérités officielles, par leur existence même8… Mais la situation culturelle en Occident fut longtemps compliquée par une double tension dans le monde savant entre les antiquaires qui voulaient retrouver les sacro-saints vestiges d’une très lointaine et quasi immémoriale histoire dans les mœurs et les langages les plus archaïques des populations les plus reculés – les habitants des îles et les montagnards faisaient idéalement l’affaire – et les sectaires, si je puis dire, qui partaient en chasse des traces des errements de la Raison ou des hétérodoxies plus ou moins violemment démonisées. Avant d’être, plus tard, folklorisées. Et comme je l’ai évoqué, la pensée sauvage trouble en sourdine la culture des élites et la science du concret trame les imaginaires artistes (Rabelais, Shakespeare, Cervantès, Sterne, Goya, Hugo, Rimbaud, les surréalistes, etc.). 

Pour en revenir au malaise dans la civilisation des cours et des villes, un mot encore de l’abbé Thiers en son propos liminaire qui me paraît significatif de cette interrogation inquiète sur les failles innombrables de l’orthodoxie :

Il est étonnant que les superstitions ayant été détruites par la très profonde humilité de Jésus-Christ […], soient aussi universellement répandues dans le monde chrétien […]. Toutes proscrites qu’elles sont, elles ne laissent pas d’avoir partout des partisans. Elles trouvent accès chez les Grands ; elles sont en vogue parmi le peuple ; chaque royaume, chaque ville, chaque paroisse a les siennes propres. Tel les observe qui n’y pense nullement, tel en est coupable qui ne croit pas. La malice, l’ignorance, la simplicité, la vanité, le caprice, l’humeur, l’amour de la vie […], les font souvent entrer jusque dans les plus saintes pratiques.

À ce propos, c’est sans doute tout sauf un hasard si nous ne disposons pas d’études sur le folklore biblique et le folklore des premiers chrétiens comparables à l’anthropologie des mondes gréco-romains et des mythes antiques conduites par Louis Gernet, Jean-Pierre Vernant ou Edmund Leach. 

 

Croire ou penser : les autres du je ? 

A. D.-H.  Nous pourrions poursuivre cette archéologie des études folkloriques en France en marquant le contraste de notre scène nationale avec d’autres pays européens, moins anciennement centralisés et moins légitimistes en matière de politique cultu(r)elle (et linguistique), le rôle et l’importance qu’ont pu alors y jouer les folklores locaux. Je pense aux travaux d’Anne-Marie Thiesse en particulier (Thiesse, 1999 : 161-224). Mais je vous propose de rester encore un peu sur les différences entre superstitions et vaines observances, préjugés et erreurs populaires, croyances folles et coutumes curieuses par exemple, survivances plus ou moins vivaces et folklore. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Il me semble, en tant qu’anthropologue, que le terme de folklore n’est plus considéré comme très pertinent aujourd’hui – d’où l’idée dans cet ouvrage de l’interroger à nouveau frais.

J.M. P. – Dans notre vocabulaire, nous dirions maintenant « univers symbolique », « système culturel » ou encore « cosmologie », puisque l’approche est à la fois synchronique et systémique. En fait, il est impératif de distinguer sur le plan méthodologique entre le folklore comme discipline (désuète dans sa forme ancienne sur le plan scientifique), le folklore comme corpus de matériaux culturels (précieux pour l’analyse)9 et le folklore comme pratique sociale (entre instrumentalisation politique et usage symbolique spécifique). Sachant que la folkloristique contemporaine s’intéresse aussi bien à la charrue du laboureur et à ses manières de faire qu’à son chant et à ses rites de fertilité, je veux dire tant à la culture verbale qu’à la culture matérielle, contrairement au regard d’autrefois pris sous le charme, y compris chez les écrivains, de la seule « Popular Literature ». 

A. D.-H.  Au sujet de la coexistence des univers culturels, je pense à ce passage que vous aimez à citer, de Madame Bovary, qui met le lecteur en présence d’une pluralité de points de vue, eux-mêmes hybrides et hétéroclites. Le roman scénographie un conflit de cosmologies hétérogènes et plus ou moins incorporées10. Voici ces quelques lignes de Flaubert :

[…] Des aboiements continus se traînaient au loin, quelque part. 

- Entendez-vous un chien qui hurle ? dit le pharmacien. 

- On prétend qu'ils sentent les morts, répondit l'ecclésiastique. C'est comme les abeilles ; elles s'envolent de la ruche au décès des personnes. – Homais ne releva pas ces préjugés, car il s'était rendormi.

M. Bournisien, plus robuste, continua quelque temps à remuer tout bas les lèvres ; puis, insensiblement, il baissa le menton, lâcha son gros livre noir et se mit à ronfler. 

Ils étaient en face l'un de l'autre … et ils ne bougeaient pas plus que le cadavre à côté d'eux qui avait l'air de dormir. (Flaubert, 1971 : 339) 

J.M. P. – Oui, c’est pendant la veillée funèbre d’Emma. Qui sont les protagonistes de cette scène nocturne ? Le pharmacien Homais, généralement tenu pour le représentant des Lumières ; l’abbé Bournisien, curé de campagne sans génie ni diabolie ; la voix anonyme du narrateur enfin qui joue double ou triple jeu. Arrêtons-nous d’abord un instant sur cette troublante notation du narrateur qui semble prendre à son compte – au moins stylistiquement – une forme d’anthropisation de la nature en évoquant ces « aboiements continus qui se trainaient au loin ». On s’attendrait, en régime esthétique réaliste, à ce que ce soit plutôt des voix humaines plaintives et souffrantes qui se trainent au loin11, et non des aboiements de chien. Comment écrire ou décrire avec plus d’ambivalence culturelle ou d’incertitude axiologique, que le récit prend ici entièrement en charge, une pensée sauvage où la discontinuité physique, pour parler comme Philippe Descola12, se conjugue à une sorte de continuité dans les intériorités, animales ici, humaines là. Bref, voilà que la pensée du roman est elle-même traversée de superstitions… À moins que la voix narrative ne partage la culture de ses personnages ?

Considérons maintenant les propos de M. Homais. Homais, en héraut caricatural de la Raison, plus scientiste que scientifique. Homais en prototype du notable de village voué à l’écrit, à la science expérimentale et évidemment à la médecine positiviste. C’est, en outre, le correspondant local du canton pour la Statistique Nationale13, il se dit membre de plusieurs sociétés savantes, etc. J’ai écrit quelques pages là-dessus dans mon ethnocritique (Privat, 1994 : 199-230). Bref, c’est l’homme des écritures et du gouvernement des peuples, des sciences positives et du comptage. Or, on constate qu’il y a comme une continuité inattendue entre le point de vue du narrateur qui conduit le récit et la première prise de parole de M. Homais : dans ce passage, il évoque à son tour un « chien qui hurle »… En bon apothicaire positiviste, il aurait dû parler d’un chien qui aboie, qui aboie très fort et continument sans doute, mais qui aboie… Le fait même qu’Homais relève ce hurlement signifie que le lien ombilical avec les croyances du village n’est pas réellement coupé.

En fait si la question posée par Homais au curé est doublement pertinente, dans son principe et dans sa formulation, c’est parce qu’elle présuppose que tout le monde sait qu’un chien qui crie dans la nuit est un chien qui aboie à la mort ou mieux qui « hurle à la mort ». C’est un message que la communauté paysanne entend. Mais c’est aussi une message d’ensauvagement subliminal proposé au lecteur coopératif par l’ellipse indissociablement verbale et culturelle du texte : « Entendez-vous un chien qui hurle [sous-entendu : à la mort]14 ? »

 

A. D.-H.  Homais est donc d’emblée dans la pensée qu’il se devrait de combattre en tant que notable éclairé de la communauté villageoise. À moins qu’en se situant dans son univers de référence, il ne cherche ou ne s’amuse à chercher la sympathie du prêtre, homme de toutes les superstitions…

J.M. P. – En effet, l’ecclésiastique, qui représente bien un de ces curés de campagne, le plus souvent issus eux-mêmes du monde rural et des cultures populaires et formulaires, partage de facto, en tant que spécialiste des liens avec l’au-delà, le sens du continuum des mondes. Sa formulation à la fois prolonge le sous-texte – « hurle (…) les morts » – et le motif culturel implicite dans la parole de son interlocuteur, tout en prenant quelque distance énonciative avec la croyance : «  On prétend qu’ils [...] ». Mais le coup de génie du romancier est, ensuite, de passer comme sans transition de l’univers de la sapience commune rapportée spontanément (même si sans prise en charge personnelle explicitement assumée) aux certitudes des signes voire des mantiques folkloriques : « C’est comme les abeilles ; elles s’envolent de la ruche au décès des personnes15. » Le bestiaire folklorique du curé Bournisien (les chiens, les abeilles, les morts) ne rencontre pas l’opposition du pharmacien qui s’est alors rendormi (le sommeil de la Raison engendre peut-être en lui des images d’abeilles rituelles ?), même si la voix narrative paraît cette fois partager un point de vue rationaliste moderne en parlant de « préjugés ».

Ce dispositif rhétorique permet certes d’opposer sens commun (dont ici le religieux) obscurantiste et savoir critique (et moderne) ; mais, n’en déplaise aux tenants de l’ironie flaubertienne, par ce coup de force interprétatif (« ces préjugés ») qui soudain semble couper court à toute ambivalence anthropologique, l’écrivain met ici en complicité la voix de M. Homais et la voix du narrateur lui-même… Un bel exemple de dialogisme manifeste (un dialogisme apparent) et de dialogisme constitutif (un dialogisme structurel) des sujets culturels. Et de l’hétérophonie fictionnelle à la fois exhibée et, si je puis dire, sinon refoulée du moins retenue ou rentrée qui travaille la prose de Flaubert et le roman moderne et contemporain sans doute plus généralement16.

 

A. D.-H.  Quelque chose craque ici de notre rapport au réel, un réel que Bakhtine analyse comme un ensemble de processus historiques qui tendent eux à l’unification étatique et à la centralisation linguistique et culturelle. La doxa académique a tendance à négliger cette hétérogénéité idéologique et ce dialogisme langagier souvent constitutifs des plus grandes œuvres littéraires. 

J.M. P. – Je suis d’accord. Tout le monde dort et ronfle à la fin – le lecteur excepté, le roman n’est pas censé lui tomber des mains ! C’est le degré zéro de la veillée funèbre évidemment et une sorte de zoom sur la pesanteur sartrienne des consciences (« la faiblesse humaine » dit, peu chrétiennement, le texte). C’est la débâcle du dialogue (« ils étaient en face l’un de l’autre ») et le grotesque des corps (« ventre en avant », « figure bouffie », « air renfrogné »). C’est un monde qui s’exténue et tombe. L’abbé Bournisien, décrit comme « plus robuste » (rustre ?), marmonne bien encore quelque chose. On devine que ce sont de vagues prières pour la morte. Flaubert décrit donc ce rite verbal comme dépourvu d’âme (« remuer tout bas les lèvres »). Et ce désastre cultuel et culturel est finalement ironiquement marqué par la confusion ontologique des places entre les morts et les vivants : «  Ils ne bougeaient pas plus que le cadavre à côté d’eux, qui avait l’air de dormir ».

Finalement, la littérature sauve son héroïne (comme le « beau livre » du poète en grève devant la société17) et enterre si je puis dire la petite société des bonshommes. Le curé finit par lâcher « son gros livre », tout à la fois livre de prière, livre des morts abandonnés à leur sort, et symbole de tout (gros) livre, aussi suffisant qu’insuffisant…

A. D.-H. –​​​​​​​ Le monde serait-il fait pour aboutir à un livre (ou à une chanson) ? 

J.M. P. – Mais ce « gros livre noir » a valeur d’emblème, pour notre conversation aussi. Le livre « noir », c’est la Sainte Bible de façon générale ou le livre de messe, ici le livre de prières, le livre des morts en somme. Ce peut être aussi le livre du Malin ou le grimoire des sorciers18. C’est le livre de tous les écrits finalement : c’est le Code Noir de l’esclavagisme occidental, c’est le misogyne Livre Noir de l’abbé Frollo, c’est le vaticanesque Index19, tous au plus loin de l’oralité libre et de l’ineffable aura que peut produire une expérience authentique du monde, comme pourrait le dire Walter Benjamin20.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ C’est une boîte noire en quelque sorte, qui révèle, par l’imprimé, ce que l’on ne voudrait ni voir ni comprendre. Livre noir du folklore ? Nicole Belmont disait explicitement en effet, il y a déjà plus de vingt ans, que ce terme est à reconsidérer, voire à réhabiliter en France. Car, du fait du cartésianisme dominant, dit-elle, il n’a jamais été pris très au sérieux (Belmont, 1986 : 259-268).

J.M. P. – À prendre en compte en tout cas et non à considérer comme un bibelot d’in(s-)anité sonore.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Il semble paradoxal toutefois  qu’en France naissent les recherches sur les arts et traditions populaires, prémisses des études de folklore proprement dites21, au moment même où l’École de la IIIe République tend à effacer définitivement toute trace de particularisme local et de plurilinguisme (la disparition accélérée des patois).

J.M. P. – Même si ce n’était pas l’objectif initial ou central du gouvernement en alphabétisant les campagnes, en précipitant les mondes ruraux et ouvriers dans la littératie, l’école républicaine participa à la décomposition sociale et à la déconstruction symbolique de ces univers-là. Sans oublier, en 1790, la fameuse Enquête de l’abbé Grégoire sur les patois de la France où le geste politique invente les restes folkloriques : « La folklorisation de la différence est le corollaire d’une politique d’unité nationale » (Certeau et alii, 1975 : 160-169). Dans son non moins fameux Rapport à la Convention nationale au nom du Comité de l’Instruction publique (1794), le bon abbé s’emportera contre l’ineptie « des contes puérils de la bibliothèque bleue, des commères & du sabbat ». Mais dès qu’on regarde de près, on voit que l’élite sociale ou intellectuelle reste intriguée par ce que manifeste ces univers perçus comme mondes de l’irrationnel, de la déraison, du désordre contre l’ordre graphique scolaire et académique. Le développement conjoint de la scolarisation et de l’urbanisation tend en effet, à la même époque, à engendrer une montée de l’intérêt nostalgique et parfois ombilical pour ces cultures réputées finissantes d’où l’on vient encore majoritairement. D’où peut-être l’intérêt du grand roman moderne – La Comédie humaine, Les Rougon-Macquart, La Recherche du Temps perdu – pour ce que R. Barthes désigne comme ces moments de l’Histoire où une société «  se défait » (Barthes, 2002 : 563). Et sur un mode plus léger, les paroles de la chanson de Trénet ! 

Le folklore c'est par-ci, par là

Des airs purs que tout le monde chante.

Il traverse nos peines et nos joies

Comme la biche traverse les bois.

Le folklore ça vous prend un soir

Et ça vient bercer de nostalgie

Tous nos rêves et tous nos espoirs.

Le folklore c'est notre vie.22

Essais de définition(s)

A. D.-H. –​​​​​​​ Sachant cette variabilité de l’emploi du terme selon l’espace et le temps, selon aussi le point de vue et l’identité du locuteur, de l’observateur, existe-t-il aujourd’hui une définition sinon scientifique du moins consensuelle du folklore que nous pourrions, sans sous-entendus parasites, exploiter ?

J.M. P. – Non, et pour plusieurs raisons23. La réponse disons classique est que les discours sur les cultures dépendent des positions (historique, anthropologique, sociologique) des discoureurs. Je pense à cette observation amusante de Michel Leiris (1970 : 69) – trinquer appartiendrait au folklore et porter un toast aux bonnes manières – ou encore, à Wittgenstein (1982 : 20-21), plus acerbe, lorsqu’il explique que « Frazer est beaucoup plus « sauvage » que la plupart de ses sauvages » dans la mesure où « ses explications des usages primitifs sont beaucoup plus grossières que le sens de ces usages eux-mêmes »… Pour ma part, je dirai que d’un point de vue cognitif le folklore est un analyseur extraordinaire (parce qu’analyseur insu) des positions que les personnes ou les institutions ne peuvent pas ne pas prendre par rapport aux impositions, ordinaires ou non, de légitimité culturelle.

Je dis imposition parce que je suis toujours amusé ou intrigué par l’emploi ambivalent du mot : le folklo’, c’est à la fois ce qui n’est pas sérieux et ce qui est drôle – les manières de dire en disent elles-mêmes beaucoup. Ce qui n’est pas raisonnable et convenable et ce qui, d’un autre point de vue (ou du même en fait), est amusant et vivant, joyeux24, inventif. 

Je dis encore imposition au sens d’imposition de problématique cette fois car il est notoire que la notion de folklore présente les caractéristiques d’une… prénotion (déficit d’unification théorique générale, primat historique d’enjeux symboliques divers, méthodologies empiriques, monographies plus descriptives qu’analytiques, dissolution de la folkloristique dans le champ hétéronome des sciences humaines). Cette absence de Grand Theory (Haring, 2008) n’est pas une calamité en soi si l’on considère que c’est le revers d’une double réalité culturelle : le folklore en tant qu’objet d’études couvre un domaine hyper-segmenté difficile à unifier dans une théorie abstraite universelle (le folklore des jouets, le folklore de la mort, le folklore des prix littéraires, le folklore japonais, , le folklore gay, etc.) ; le folklore en tant que pratiques cette fois, performances et expériences confondues, présuppose autant de rapports au monde qu’il y a de situations historiques et socio-anthropologiques (Stewart, 2008 : 71-82). Les féministes (Mills, 1993 : 173-192 ; Locke, 2009) ne se sont pas privées de faire remarquer que l’expressivité folklorique échappait tendanciellement moins aux femmes, mêmes les plus humbles, que les formes les plus autorisées et les plus hiérarchisées des cultures écrites, de la protestation chantée au travail sotto voce (Caufriez, 1998) aux rituels collectifs de retournement des proverbes (patriarcaux). Les artistes contemporaines inscrivent une partie de leurs travaux dans cet héritage, Anne Messager et sa « collection » de proverbes ou Janet Davidson-Hues et son contre-usage des idiomatismes sexistes. 

Je dis enfin imposition au sens d’imposer par un jeu de positions réglées les unes sur les autres, jeu qui place structuralement le folklorique du côté du non-légitime, du non-officiel, du non-orthodoxe et le constitue ainsi, ipso facto, en topique d’hétérodoxie spontanée, de contestation implicite de l’unicité de la voix officielle (Ecole, Eglise, Etat, Science), bref de formes subalternes mais oppositives (ou décoratives) de cultures, formes régressives ou progressistes, selon les cas25.

On connaît le mouvement historique de patrimonialisation étatique du folklore (les chants ou les contes par exemple, le revival festif local, etc.) et, dans le même mouvement, son ultime refuge dans les cultures enfantines, exotiques ou spectaculaires26 et fictionnelles27. Cette dialectique de la domination symbolique et de l’altérité culturelle résiduelle est à l’œuvre dans les catégories sémantiques de notre vocabulaire le plus quotidien, dans lequel au moins depuis le XVIIe siècle, le mot terroir qualifie favorablement les fruits de l’agriculture (les bons produits du terroir) et disqualifie sans autre forme de procès les fleurs de la culture locale (ainsi un poète ou un écrivain du terroir est quasiment une contradiction dans les termes). Il n’est de bon bec (et plume) que de Paris, comme on sait. 

Les exemples seraient innombrables de la présence de motifs folkloriques dans notre vie, depuis ces rites universitaires d’inversion carnavalesque où l’éminent collègue doit être rigoureusement tenu dans le secret de la fête qui se prépare en l’honneur de son départ à la retraite (il a perdu le pouvoir de décision) jusqu’aux discours magico-religieux ou mythico-poétiques que peut relever n’importe quel client d’une pharmacie de centre ville au rayon « beauté » (féminine) : huile prodigieuse, corps de déesse, fluide merveillance, soleil divin, deux coups de baguette, pschitt magique, etc. M. Homais s’y reconnaîtrait peut-être, lui qui, un temps, « s’éprit d’enthousiasme pour les chaînes hydro-électriques Pulvermacher » et apparaissait aux yeux de son épouse subjuguée « plus garrotté qu’un Scythe et splendide comme un mage. » (Flaubert, 1971 : 352)

Mais ce point (de vue) mériterait d’être relativisé doublement. D’une part, l’histoire longue nous apprend que la culture folklorique (également urbaine, marchande, laïque) peut coexister avec la culture officielle cléricale, religieuse et aristocratique (Le Goff, 1977 : 223-331; Schmitt, 2001 : 129-237), voire en contester la suprématie – pensons aux thèses, trop romantiques sans doute, de Bakhtine sur la culture populaire de la cité médiévale, le carnaval de la dérision des valeurs établies ou la farce de la désacralisation de la morale religieuse (1970); d’autre part, l’anthropologie nous met en garde contre une conception systématiquement élitiste de la circulation des traits culturels alors que les échanges croisés entre cultures autorisées et cultures minorées sont certes asymétriques mais néanmoins constants dans la sphère du symbolique (le parler des banlieues, les goûts culinaires, les modes vestimentaires, les arts de la rue, etc.) (Grignon et Passeron, 1989). D’autant que si le folklore n’est pas cette culture homogène et immobile qui échapperait à l’analyse anthropologique (Lévi-Strauss, 1974 : 418), son caractère collectif, à la fois transmis et incorporé28, le constitue en une sorte d’habitus folklorique qui exerce sur nous-mêmes et sur les autres un sentiment contradictoire de présence et d’étrangeté, la fascination plus ou moins refoulée pour cette familiarité étrange, cet insolite ordinaire29. Bref, le folklore est un fait anthropologique et idéologique total, pour paraphraser la célèbre formule de Marcel Mauss ! C’est son intérêt, paradoxalement. En somme, il convient de ne pas trop hâtivement folkloriser (folchloriser, kitschiser ?) le folklore en tant qu’expérience latérale du monde ou exploration des marges culturelles. Même si « la science des traditions populaires » ne s’est elle que rarement départie d’une visée encyclopédique, érudite et archivistique qui muséifia en somme son objet selon une logique formelle et classificatoire. 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Replacer le folklorique dans l’extraordinaire du quotidien en somme ? 

J.M. P. – Le folklore des folkloristes en tout premier lieu ! Mais aussi le folklore métiers, le folklore du mariage et de l’amour, le folklore des teenagers et des seniors, le folklore des cafés, le folklore des inaugurations, le folklore de la conversation, le folklore privé, le folklore de la ville moderne, le folklore des grandes écoles et de l’administration, et pourquoi pas le folklore de la République [Agulhon : 1995]. Autant dire que si les folklores ne sont certes pas éternels, ils sont bel et bien présents, disséminés, profus ou diffus. Le folklore comme intermittence de la culture, si je peux risquer cette formule ! Tel est du moins l’un des renversements de la perspective classique que je suggère ici, avec beaucoup d’autres (Bronner, 2012 : 23-47). Une définition extensive du folklore présupposerait toutefois pour être véritablement fondée une théorie de l’histoire, une théorie de la société et une théorie de la culture… Sur le site actuel de l’American Folklore Society on peut lire que le folklore est « a broad field of study that concerns itself with the ways in wich people make meaning in their lifes. » Make meaning in my life… is my life ! C’est une définition certes généreuse et moderne, mais trop englobante, qui quasiment détruit la spécificité de son objet. Disons en tout cas comme Gramsci (1950 : 215-221) qu’en tant qu’objet d’études le folklore est loin de se réduire à « una bizzarria, una stranezza  o un elemento pittoresco » et que si le folklore est « una cosa seria e da prendere sul serio » c’est qu’il est bien, fût-ce à la va-comme-je-te-pousse, « una concezione del mondo e della vita », une matrice de pratiques et d’(en-)jeux symboliques comme nous dirions aujourd’hui. 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Nous n’avons peut-être pas assez insisté, mais le gouvernement de Vichy et la collaboration avec les nazis sont pour beaucoup dans la compromission du terme et son refoulement des sciences humaines en France30.

J.M. P. – C’est vrai. Il suffirait d’examiner l’évolution des titres (et des contenus) des revues spécialisées dans le domaine. Par exemple Ethnologie française succède, en 1973, à la revue Arts et traditions populaires qui, elle-même, faisait suite à Folklore paysan qui plus anciennement se publiait à l’enseigne du Folklore vivant. Mais le brouillage puis le stigmate historique du folklore dans la sphère savante et politique c’est à la fois l’héritage d’une militance et d’un impérialisme. Ainsi, par exemple, en 1938 paraît à Carcassonne sous l’égide du Groupe audois d’études folkloriques le premier numéro de la revue Folklore : la dynamique culturelle et sociale du Front populaire n’y est pas étrangère, il s’en faut (GARAE, 1982). L’intelligenstia européenne et française des années 30, y compris les institutions les plus officielles de la République (Inspections Académiques, Universités, Musées, etc.) convergeaient dans cette idée que les études folkloriques étaient un devoir d’humaniste (où se combinaient les figures du savant, du lettré, de l’historien et du patriote) et entraient de droit dans la construction des nouvelles sciences de l’Homme (Barthelemy et Weber, 1989 : 125-237). Sans remonter à Gaston Paris ou au Museo Arlaten de Mistral et à son Tresor dóu Felibrige, les Travaux du 1er Congrès international de folklore (publiés à Paris en 1937) suffisent à rappeler combien les plus autorités de l’Etat espéraient alors trouver dans le folklore, ses thèmes (littératures orales, arts populaires, artisanats, costumes, musiques, théâtres, danses, fêtes), ses institutions de recherche et de valorisation, ses acteurs eux-mêmes, un horizon de « coopération universelle » pour l’animation et la compréhension de la « vie entière » de chaque peuple (Travaux, 1938 : 436 et 439)31

          Mais on sait aussi l’usage narcotique massif que le stalinisme et le soviétisme feront des colorés folklores paysans (vu par les politburos, les prolétariats ne sauraient être voués au « folk »). Et si le paradigme primitiviste conduit à reconnaître l’existence universelle du folklore (y compris d’un folklore préhistorique), cette idéologie préside aussi à la création en 1928 d’une Société et d’une Revue de folklore français et de folklore colonial. Les mouvements de libération populaire et de décolonisation ne pouvaient qu’envoyer aux enfers et le mot et la chose. 

             Ce point est dessiné à larges traits, bien sûr. La situation est en effet différente dans de nombreux pays européens où le folklore national est consubstantiel à la création des États politiques modernes et à la rêverie culturelle moderne sur un patrimoine matériel et immatériel qui lie les citoyens et les relie à un passé vivant en chacun d’eux sur un mode intime et collectif. En Finlande, par exemple, il existe une chaire de folkloristique depuis 189832. Et toujours pas en France. Quel folkloriste par ailleurs ne connaîtrait le fameux Folklore Institute d’Indiana University et ses publications ? La Storia del folklore in Europa (Cocchiara, 1971) ne sera jamais traduite en français, à l’évidence, pas plus que n‘existe en France l’équivalent de la magnifique revue gramscienne La Ricerca folklorica. Un dernier exemple parmi tant d’autres ? J’ai sous les yeux un très bel ouvrage de plus de 400 pages serrées, publié récemment par Oxford University Press : Dictionary of English Folklore (2003)33. C’est proprement fascinant – au regard de notre académisme.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Donc le folklore a bien un référent concret et spécifique ? Qu’est-ce qui ferait folklore aujourd’hui ? 

J.M. P. – Tout, ou presque ! Je pense à des conceptions aussi extensives qu’hypo-théoriques peut-être à propos des topics du folklore qui couvrirait un arc, un arc-en-ciel, très large :

[…] from fairy tales to jump rope rhymes, from creation myths to YouTube videos, from women’s culture to digital media, from intellectual property to traditional ethnic customs, from analysis to religious belief systems, from hand-made furniture to street slang, and from clothing to architecture […]. (American Folklore Society, 2013).

On peut aussi répondre de façon aussi substantielle mais moins substantialiste en pensant par exemple aux micro-logiques différenciées d’usage des espaces publics, non pas le folklore codé des manifestations politiques ou sous un autre jour le folklore lettré et artiste des Cris de Paris, mais les façons journalières de parler haut dans un entre soi fugitif et labile, l’improvisation réglée d’une gestualité amicale et bruyante, le rire sonore et joyeux de trois jeunes filles dans cette rue passante qui une seconde leur appartient. Ou encore le sifflement joyeux ou mélancolique du passeur solitaire qui contrevient au standard du comportement correct en société (siffler vs parler), ce sifflement suppose une technique du corps apprise par pure imitation et tâtonnement empirique (apprend-on à jouer de son propre corps dans les conservatoires de musique ?) manifeste une forme de résistance têtue et certes ténue mais spontanément perçue comme culturellement dissonante, disqualification qui n’atteint, bien au contraire, ni le folklore du vent ou de l’oiseau qui sifflent . Ce petit folklore de la conversation et du corps expressif pas vraiment converti aux usages prescrits plus ou moins explicitement par le bon goût (existe-t-il en la matière des usages vraiment respectueux d’une norme de discrétion et de courtoisie aussi improbable qu’irréaliste?), ce tutoiement d’un monde urbain moderne où l’art des mots se mêle au bazar des sons, chanté par Apollinaire (Alcools, « Zone », 1913) : 

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
 
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
 Neuve et propre du soleil elle était le clairon

Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent

J’aime la grâce de cette rue industrielle […]

C’est cet usage de la rue où se rencontrent – ici sous la plume du poète – art moderne et folklore ordinaire urbain qui serait à observer de très prés, les criailleries des couleurs et des senteurs tempérées par les règlements municipaux, les petits plaisirs de l’expression vive et du brouhaha arrachés au conformisme de l’évitement bourgeois, etc. C’est là que se jouent sans cesse et parfois à vif les compromis entre les devoirs policés et prévisibles des citoyens et les renégociations permanentes d’usages hétérotopiques des espaces communs qui échappent peu ou prou aux imaginaires administratifs du bon usage. Ce feu d’artifice des bruits et des cris, insupportable à l’ordre établi quand il n’est pas contrôlé (les oh et les ah ! du feu d’artifice du 14 Juillet), constitue un fait folklorique à la fois minimaliste et incessant, aussi important en tout cas selon moi car profondément incorporé que les pratiques irrégulières de l’espace planifié et géométrisé de la ville, moins visible mais plus audible et plus sensible si je puis dire ! 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Comme une dissidence à soi-même ou une dissonance de soi à soi… Il y aurait toujours quelque folklore en nous ? 

J.M. P. – Ah ! oui, j’espère bien ! Il serait amusant d’imaginer un folklore du mistral ou même le folklore de tel moineau, je veux dire une attention aux performances siffleuses et frondeuses de l’un ou de l’autre. Bachelard, les poètes phénoménologues et les amoureux de la nature sont attentifs à ces folklores inouïs qui appartiennent au chant du monde. Pas seulement le folklore de l’eau mais l’eau qui fait son folklore, l’eau folklorique34. Ou l’image dans la pierre (Caillois, 1970). Pas seulement le folklore de la pomme de terre, mais les remarques amusées et exclamatives sur les bizarreries de ses formes lors de sa récolte manuelle. Ce n’est pas – pour prendre un dernier exemple – la ligne de crête qui mime un dos de dragon ou ressemble à une vieille femme couchée. L’empoétisation folklorique du regard sur le monde exige que le dragon soit la montagne et que le corps de la montagne soit la vieille légendaire. 

 

A. D.-H. –​​​​​​​ On peut réfléchir sur un exemple plus classique, les anniversaires, par exemple ?

J.M. P. – Les anniversaires, oui, sont passés dans la culture folklorique, familiale ou amicale, ou même scolaire. Jusque dans les années 1950, dans les pays chrétiens et d’influence latine, on fêtait les anniversaires à la date de célébration calendaire du saint patron sous lequel notre prénom nous plaçait – laquelle date est, en fait, la date vénérable de son natalice, c’est-à-dire de sa mort au monde terrestre et de sa naissance au monde éternel. Ce système symbolique religieux rattachait évidemment la communauté des vivants et la communauté des morts. Cette fête du saint anniversaire du saint patron, sans être un article du dogme catholique, rentrait néanmoins dans le cadre des coutumes chrétiennes encouragées, l’événement paradigmatique de la Nativité ayant un statut mythique particulier. Que s’est-il passé ? La cosmologie catholique s’est effondrée, à tel point que cette généalogie de la fête est ignorée de la plupart des gens.

En fait, on sait bien que c’est avec la Réforme et le protestantisme anglo-saxon que le culte des saints disparaît et que l’individu moderne apparaît. On passe de l’âge théologique à l’âge sociologique. On célèbrera désormais les anniversaires de naissance de l’individu biographique, fête d’anniversaire encore accentuée par la laïcisation de la société et l’épiphanie, si j’ose dire, du sujet bourgeois moderne. Ce petit rite cyclique du temps personnel devient un trait (assez monotone d’ailleurs) de notre culture folklorique : il n’est plus assumé ni en principe organisé par aucune instance légitime, officielle, religieuse ou non. C’est par contre, et ce n’est pas contradictoire, une contrainte rituelle sociale extrêmement forte pour les nouvelles générations, et notamment quand il s’agit des enfants. C’est une coutume très vivante qui a force de loi dans l’imaginaire de notre socialité : du pur folklore, au sens d’une praxis ritualisée qui ne s’autorise que d’elle-même, qu’aucune institution autre qu’imaginaire n’impose et ne garantit plus. Folklore oblige.

 

A. D.-H. –​​​​​​​ Le trajet de cette coutume ressemble assez à celui du Père Noël décrit par Claude Lévi-Strauss35.

J.M. P. – Oui, sans aucun doute, au moins en termes de transfert de sacralité et de rituel de socialisation. C’est la pensée sauvage contemporaine des civilisés. Bon gré mal gré. Max Weber évoque « la haine rageuse des puritains » d’autrefois contre la « moindre réminiscence de salut magique ou sacramentel » qui s’exerçait sur la fête de Noël (tout autant que sur l’Arbre de Mai ou ce qu’il appelle « l’art sacré spontané »). Et sa conclusion glacée fait date dans l’histoire politique et culturelle du folklore : « L’ascétisme s’étendait comme un manteau de givre sur la merrie old England »… (Weber, 1964 : 205-206)36

Mais revenons à aujourd’hui. Ce folklore-là est étonnant sur le plan théorique car on observe comme un jeu de miroir entre plan liturgique (Noël, l’enfant Jésus) et plan folklorique (Père Noël). En réalité, dans des pays comme la France qui connaissent depuis un siècle la séparation de l’Église et de l’État, la tendance a été à la fois de dissocier le folklore du christianisme, dont les liens cosmologiques et historiques avec (contre) la religion sont pourtant structurels, mais aussi de refouler l’un et l’autre comme altérités anachroniques ou archaïques. Or, pour les fêtes de Noël, c’est un joyeux syncrétisme culturel qui s’impose encore au terme d’une transaction symbolique entre générations. Ainsi, la conjonction labile d’une oralité enfantine, d’une croyance par corps et d’une communauté d’illusion engendre non pas des monstres d’un autre âge, mais notre fête des fêtes. Ce syncrétisme festif englobe évidemment les fêtes profanes de fin d’année où le bon Saint Sylvestre (dont nul ne se soucie) préside en aimable Bacchus aux bruyantes réjouissances et aux rituelles bombances, une sorte de potlatch37 que nos sociétés se donnent à elles-mêmes et dont les Champs-Elysées seraient pour la France le lieu théâtral symbolique et géométrique. 

 

Une poétique élargie 

A. D.-H. –​​​​​​​  Et les liens du folklore avec les arts ou avec l’Art, avec l’art des autres ou l’autre de l’art, aujourd’hui ?

J.M. P. – C’est très compliqué car toujours très situé (ou instrumentalisé, du marketing à la propagande). Le problème est historique et idéologique, comme on l’a vu, tout autant qu’épistémique et esthétique stricto sensu. A fortiori à l’échelle du monde. On trouvera des illustrations – à tous les sens du terme – de cette situation dans ce livre-même que vous avez coordonné. Nous pourrions peut-être inscrire cet ouvrage dans le prolongement des remarques acerbes et constructives de Le Corbusier (1952) qui s’en est pris très vivement en son temps au « bourgeois-roi », pitoyable prédateur et réducteur de cultures : « Le folklore est usurpé par les paresseux et les stériles, pour remplir l’air d’un bruit assourdissant de cigales, pour chanter faux avec le chant et la poésie des autres. » Le Corbusier appelle de ses vœux, au nom d’une poétique élargie » et de « l’émoi humain », un « folklore d’aujourd’hui (…), magnifique et intense » au plus loin des morbides résurrections et des vaines restaurations (les arts régionaux ? la langue d’oc ? le péplum de Duncan ? la vaisselle de Lunéville ?) : « De tels divertissements anachroniques peuvent chatouiller M. Homais, qui a garni sa cheminée de deux potiches japonaises de la Compagnie des Indes. Sus à M. Homais ! Il faut voir clair et s‘occuper des affaires présentes. » Et de conclure qu’en ce siècle de « précision » où règne la machine, des moyens neufs et des besoins neufs qui donneront corps à des œuvres neuves : « Le travail a commencé. L’unanimité d’un sentiment neuf (…) tend à établir des standards qui seront notre folklore38 » (Le Corbusier, 1996 [1925] : 27-37).

Cette vision reste très optimiste si l’on se réfère aux conceptions des institutions internationales sur le folklore, telles que codifiées par exemple par l’UNESCO. Elles ont été marquées pendant très longtemps par une sorte de relativisme culturel traditionnel et comment dire, plus diplomatiquement correct que conséquent sur le plan scientifique : 

Le folklore (ou la culture traditionnelle et populaire) est l'ensemble des créations émanant d'une communauté culturelle fondées sur la tradition, exprimées par un groupe ou par des individus et reconnues comme répondant aux attentes de la communauté en tant qu'expression de l'identité culturelle et sociale de celle-ci, les normes et les valeurs se transmettant oralement, par imitation ou par d'autres manières. Ses formes comprennent, entre autres, la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes, l'artisanat, l'architecture et d'autres arts. (UNESCO, 1989)

Il conviendrait en fait de parler au passé (récent) car l’UNESCO a officiellement éliminé de sa terminologie en 2002 le terme de « folklore » comme « inadéquat » ou « inacceptable » (l’organisation invoque les « connotations indésirables » du mot dans certains pays et des difficultés de définition compréhensive sur le plan intellectuel). Il n’est plus question désormais que du fameux « patrimoine culturel immatériel » qui, « transmis de génération en génération », recouvre « les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ; les arts du spectacle ; les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ; les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. » Ce patrimoine (le mot demeure muséal…) et immatériel (l’adjectif est malheureux) est considéré toutefois comme « constamment recréé par les communautés en fonction de leur milieu et de leur histoire ». Ces sortes d’interactions stylisées d’une culture avec elle-même sont censées procurer « un sentiment de continuité et d’identité » qui contribue à « promouvoir la diversité culturelle et la créativité de l’humanité » (UNESCO, 2003 et 2013)39. Comme le résume assez rudement N. Heinich : 

Voilà qui suffit à dater le texte de la convention, où se retrouvent les grandes thématiques académiques des années 2000 : patrimoine culturel (contre l’économisme), autodétermination des communautés (contre le colonialisme), capacités d’action des individus (contre le déterminisme), sentiment d’identité (contre les assignations statutaires), droits de l’homme et écologie (contre la toute-puissance des États). (Heinich, 2012 : 227)

Je dirai pour ma part, en première approche, qu’en Europe, en tout cas depuis le romantisme (Fabre, 2010 : 5-75), nul ne saurait contester que le folklore verbal (sa beauté, sa liberté, sa créativité, sa marginalité même) représente une partie constitutive de la culture des peuples, des communautés et souvent des personnes privées. On a appris à l’école que ce jugement se rencontra jadis chez quelques écrivains à l’audace culturelle exceptionnelle, Villon ou Montaigne. On a en mémoire la deffense et illustration de l’oralité poétique et folklorique (ou para-folklorique) par l’auteur des Essais

La poésie populaire et purement naturelle a des naïvetés et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poésie parfaite selon l'art ; comme il se voit es villanelles de Gascogne et aux chansons qu'on nous rapporte des nations qui n'ont cognoissance d'aucune science, ny mesme d'escriture40. (Montaigne, Essais I : 54)

P. Bogatyrev et R. Jakobson ont écrit, il y a fort longtemps (Jakobson, 1973 : 59-72), un article fameux de poétique comparée sur le sujet où est posée fort clairement la différence entre l’originalité artistique hypermoderne (présentiste, u-topique, narcissique) et cette sorte de singularité collective propres aux arts folkloriques. On peut ainsi imaginer que les relations entre compétence artistique partagée et performance culturelle nouvelle ont quelque rapport analogique avec la dynamique des relations entre langue et parole :  

Comme la langue, l’oeuvre folklorique est extra-personnelle et n’a qu’une existence potentielle […]. Dans la mesure où les innovations individuelles dans la langue (ou dans le folklore) répondent aux exigences de la communauté et anticipent sur l’évolution régulière de la langue (ou du folklore), elles sont intégrées et deviennent faits de langue (ou éléments de l’œuvre folklorique). (Jakobson, 1973 : 63-64) 

Cette approche linguistique éclaire en tout cas plusieurs phénomènes sémiotiques de première importance si on pose comme hypothèse que le folklore fonctionne de la même manière que le langage « dont on ne connaît ni les lois ni l’origine et qu’on utilise cependant après un apprentissage lui aussi traditionnel (Belmont, 1975, 38). On imagine la puissance des oralités folkloriques qui conjoignent le somatique, le sémantique et le sémiotique… et procurent ainsi le sentiment indigène d’une culture naturelle, jusque dans ses variations historiques et ses accommodations locales. L’inclusion du folklore dans la communication langagière est assez pédagogique aussi, si je puis dire ; elle conduit à distinguer commodément les plans de l’analyse en diachronie comme en synchronie : le folklore comme (re)-production (le folklore du peuple / pour le peuple / par le peuple), le folklore comme transmission (la fameuse et trompeuse ‘tradition’) et le folklore comme processus dynamique de sélection ou de réappropriation de traits culturels endogènes ou exogènes. Mais ces perspectives ne disent rien stricto sensu de la dimension esthétique ou stylistique du folklore. Pas plus que la fameuse définition du folklore comme « artistic communication in small groups » (Ben-Amos, 1971 : 3-15). 

C’est là où la transmission (la « tradition » au sens anglais n’est-ce pas), la transmission orale improvisée, latérale, improbable ou plus délibérée joue un rôle central, notamment chez les enfants qui s’émerveillent toujours de parler aux bêtes . Parler c’est communiquer ? Oui, avec les animaux… surtout si c’est totalement hors du sens commun ! Il arrive ainsi que la comptine dynamise ce que Bachelard appelait une « image initiale », alors même que cette image appartient le plus souvent à « l’indestructible bazar des vieilleries de l’imagination humaine ». Bachelard remarquait à ce propos que « le folklore est rempli de chansonnettes qu’on chante à l’escargot pour qu’il montre ses cornes » et que la magie verbale se double parfois d’un petit rite tactile quand l’enfant « s’amuse aussi en le taquinant d’un brin d’herbe  à faire rentrer l’escargot dans sa coquille » (Bachelard, 1994 : 118). C’est l’escargot qui doit rentrer dans sa coquille, pas la magie du verbe, au plus loin de la rationalité ordinaire… 

C’est là où la littérature écrite cette fois, entre invention et réinvention perpétuelle d’un folklore oral joue sans doute un rôle majeur. Il suffit de rappeler ici à titre suggestif les rondes des jeunes filles du Valois accompagnées de leurs poèmes chantés qui charment tant Nerval et ses lecteurs pour saisir comment ce folklore qui associe rite, jeu, musique, poésie, corps, communauté restreinte crée un sentiment de plénitude et une sensation de beauté, un « ravissement » dira l’écrivain (Bénichou, 1970). Ce charme n’était pas étranger aux investissements des premiers faussaires en folklore oral, des artistes romantiques – ces artisans de l’art - les plus épris de libertés créatives face aux canons du classicisme, et des folkloristes eux-mêmes engagés dans la quête des arts traditionnels et populaires, partagés qu’ils étaient entre un positivisme plus ou moins académique et un attirance pour les séductions d’une allure poétique à sauts et à gambades (Fabre, 2009 : 4-37 ; Privat, 2011 : 237-273). Les revues de folklore trouvèrent d’ailleurs une partie de leur légitimité culturelle en affichant  « arts populaires » leurs rubriques et jusque dans leurs titres, tout comme le défunt Musée des Arts et traditions populaires. L’art est le côté le plus acceptable du folklore pour notre ethnocentrisme lettré (certes l’art folklorique peut être l’expression même du kitsch et du pitoyable esthétique, mais on peut toujours se débrouiller pour dénicher le beau dans le vulgaire, et même y gagner quelque plus-value symbolique) ; mais dans le même temps, le folk art, si éloigné soit-il du fine art, expose toujours à faire l’expérience déstabilisante d’un investissement hétérodoxe dans l’art sans art… 

Ma deuxième réflexion voudrait attirer l’attention sur le fait que non seulement la parole mais surtout l’image, la danse et la musique (a fortiori toute synchronisation de ces arts41) participent de cet « expressive life » dont parlent volontiers les folkloristes américains42, ces arts de faire ordinaires ou extraordinaires où s’inventent et se réinventent sans cesse des aventures esthétiques et des explorations des effets esthésiques de l’art. On est un peu loin, dans tous ces cas de figure du folklore comme culture résiduelle, geste auguste du potier indigène ou pittoresque coiffe bretonne… Ces expériences et ces essais s’entrecroisent et se dialogisent aujourd’hui dans le flux mondial des imaginaires (plus ou moins) ensauvagés et (toujours plus) polyphoniques. Je fais d’ailleurs l’hypothèse que les arts savants ou lettrés sont jusqu’à aujourd’hui beaucoup plus liés à l’ordre graphique et à l’empire de la ligne droite continue (l’emprise de l’écriture) que les styles folkloriques qui se définiraient plutôt par un usage de lignes entrelacées, courbes ou brisées, discontinues ou rayonnantes et mêmes géométriques (losanges, triangles), mais sans valorisation particulière de l’horizontalité linéaire. Et pas seulement en raison de contraintes techniques et fonctionnelles ou de recherches de l’insolite, mais peut-être parce que plus directement en « affinité symbolique avec les dimensions fondamentales de l’expérience » (Cuisenier, 1975 : 192).

Enfin, les relations entre productions artistiques et cultures folkloriques semblent constitutives de nos imaginaires contemporains (bandes dessinées, littérature de science-fiction, chanson, e-culture, fêtes) dans l’exacte mesure où le folklore serait bien cet espace de jeux et de ruses, cette réserve d’altérités buissonnières et hybridées43, aux marges des arts reconnus et des pensées attendues44. Ce métissage de métis45, si j’ose dire, est en négociation plus ou moins vive et vivante avec des formes esthétiques inscrites dans les espaces symboliques mondialisés des industries culturelles (Bertho-Lavenir, 2012 : 719-731) ; et en renégociations toujours plus intenses et constantes si l’on admet l’idée que la folklore touch est à la fois le symbole (fakelore vendu à tous ou ego-folklore, ce « folklore intime » que dès longtemps on héberge, loin des « trop claires arêtes » (Leiris, 2003 : 1024-1025)46 – et le symptôme même de systèmes poïétiques ancrés dans des mondes particulièrement entropiques et inégalitaires, comme aujourd’hui (et non relativement homogènes sur le plan culturel comme dans certaines sociétés anciennes précapitalistes). Ce n’est pas un hasard si le new folklore (la musique et la chanson particulièrement) accompagne aujourd’hui les luttes politiques sur le continent sud-américain.  

C’est l’objectif de cet ouvrage je crois que de bousculer les évidences, et de mettre en évidence et en valeur ces pratiques et ces processus parfois poétiques, au plus loin de ce que fut le périmètre assigné jadis au folklore : local, oral, rural, ancestral, ruminal. En somme, évitons a priori sinon à tout prix de confondre « folklore » et « folklorisme » (Certeau, 1980 : 49-80) et de forclore trop hâtivement les expériences folkloriques d’aujourd’hui, non plus leurs survivances, mais leurs vivances

  • 1. Première publication dans L’art du folklore. Europe, Afrique, Amériques, sous la dir. de M. Cariz, A. Demotte-Halter, S. Roth et V. Trancart,PUN-Éditions-universitaires de Lorraine, « EthnocritiqueS », 2014, p. 273-312.
  • 2. C’est sous la plume d’Arsène Darmesteter, un linguiste, qu’apparaît pour la première fois en France en 1877 le terme folk-lore et c’est le Comte de Puymaigre qui en 1885 publie en français le premier ouvrage intitulé Folk-lore (Legros, 1962 : 2-47), bientôt imité par un autre Comte (de Charencey, 1894).
  • 3. Les jours et les nuits du romantisme poétique et du surréalisme onirique valorisent le primitivisme culturel et sa mythologie antimoderniste : « De tout temps, j’ai aimé la pureté, le folklore, ce qui est enfantin, primitif, innocent. » (Leiris, 1973 : 137)
  • 4. Abel Hugo, le frère de Victor, a composé (compilé) une France pittoresque sous-titrée « description pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies de la France ». Les mœurs, coutumes et costumes, caractères et langages du peuple y sont exposés sommairement mais en bonne place. Voici à titre d’exemple, un extrait de cette étonnante prose narrative où se mêlent - à propos de l‘influence espagnole sur les habitants du Roussillon ici – jugements moralisateurs, sourde inquiétude politique et une forme d’admiration retenue pour des mœurs expressives : « Là, les courses de taureau sont encore en honneur ; le laboureur quitte sa charrue, l’ouvrier sa boutique, pour courir à ces fêtes sanglantes […]. Le peuple est à la fois sobre et enclin à une ostentation de prodigalité, vif, irascible et ami d’une douce indolence. Sa vigueur et son énergie, une fois mis en mouvement, le rendent capables de souffrir les plus dures fatigues, d’affronter les plus grands dangers. Hors de là, son existence est toute passive, toute intérieure : c’est le sommeil de la force »… (Hugo, 1835 : 26).
  • 5. Pour exemple, L’Origine des masques, mommerie, bernez et revennez es jours gras de Caresme prenant, menez sur l’asne a rebours et charivary. Le jugement des anciens peres et philosophes sur le subject des masquarades, le tout extraict du livre de la mommerie de Claude Noirot, juge en mairerie de Lengres et datant de 1609.
  • 6. Les Instructions pour un Recueil général des poésies populaires de la France furent diffusées en 1853 sous l’égide d’Hippolyte Fortoul, ministre de l’Instruction publique et des Cultes, et sous la responsabilité d’un Comité de la langue, de l’histoire et des arts de la France (1852-1857). Les archives de ces collectes administratives de chants (et parlers) populaires sommeilleront longtemps dans les réserves de la Bibliothèque Nationale. Il n’est pas sûr qu’il faille vraiment le regretter : « La connotation passéiste et conservatrice de l’opération politiquer qui entend promouvoir de manière volontariste ce domaine d’objets en valeur de sincérité affectera durablement, en France, la détermination d’un secteur de connaissances – la chanson folklorique – facilement moralisé sous les vertus de pureté et d’authenticité par une vision rétrospective, probablement plus idéologique que véritablement heuristique. » (Cheyronnaud, 1997 : 17).
  • 7. Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages fut fondée par Henri Gaidoz et Eugène Rolland en 1877-1878 et la Revue des traditions populaires, dirigée par Paul Sébillot, en 1885.
  • 8. Gramsci distingue les formes « fossilisées » d’un folklore passé et dépassé (conservateur et réactionnaire) et les formes nouvelles, parfois inventives et en rupture délibérée sinon organisée avec les normes de la légitimité culturelle. A vrai dire, si ce type de distinguo à un sens, l’opposition culture héritée / culture créative ne me paraît pas plus spécifique aux cultures subalternes qu’aux cultures hégémoniques, surtout si le folklore est une « filosofia spontanea » proche d’un sens pratique présent dans le langage de tous les jours, dans le sens commun et les systèmes interprétatifs incorporés, bref dans l’univers sémiotique, sémantique et somatique ordinaire.
  • 9. On pense aussi bien aux travaux de S. Freud ou de E. Jones sur le folklore comme irruption d’une logique affranchie des normes civilisées qu’aux analyses mythographiques et artistiques de F. Boas ou de Cl. Lévi-Strauss ou encore à la folkloristique structurale de V. Propp à A. J. Greimas.
  • 10. Sur le conflit des cosmologies en littérature voir par exemple Descombes (1987 : 181-193).
  • 11. Le roman en fournit de très probants exemples : « Elle entendit tout au loin, au-delà du bois, sur les autres collines, un cri vague et prolongé, une voix qui se traînait […] » (Flaubert, 1971 : 165-166); ou encore : « Elle s'emplissait le coeur de ces lamentations mélodieuses qui se traînaient à l'accompagnement des contrebasses, comme des cris de naufragés dans le tumulte d'une tempête. » (Flaubert, 1971 : 229)
  • 12. Cela correspondrait, dans le système de Philippe Descola, à l’ontologie animiste (Descola, 2005).
  • 13. L’apothicaire a composé une Statistique générale du canton d'Yonville, suivie d'observations climatologiques (Flaubert, 1971 : 351).
  • 14. La subtilité analytique (ou la prudence axiologique) extrême du texte consiste ici à faire parler le pharmacien alors que son esprit embrumé sort à peine de ses songes, le surmoi culturel pris en défaut : comme le curé « étouffait un peu dans l’atmosphère trop lourde de la chambre, il ouvrit la fenêtre, ce qui réveilla le pharmacien. […] – Entendez-vous, etc. » (Flaubert, 1971 : 339)
  • 15. Sur les présages de mort – « un chien qui aboie lamentablement dans la nuit » – et les pratiques magico-religieuses du deuil aux ruches – « la coutume se fonde sur une sorte de lien mystique entre la communauté des abeilles et la communauté familiale humaine », voir « L’agonie et le décès » (van Gennep, 1946 : 660, 676-677).
  • 16. L’hétérophonie (ou hétérologie, toujours selon M. Bakhtine) est la diversité plus ou moins belligérante des voix narratives et culturelles sur la scène langagière d’un même locuteur ou dans le jeu interactif entre interlocuteurs, comme ici.
  • 17. Il s’agit de S. Mallarmé (1891 : 870). (n.d.e.)
  • 18. Sur le livre noir du curé et sa perception ambivalente, voir D. Fabre, « Le livre et sa magie. Les liseurs dans les sociétés pyrénéennes aux XIXe et XXe siècles », in Chartier (1985 : 181-206).
  • 19. On se souvient de cette scène censée se dérouler en 1481 où Claude Frollo, « prêtre austère, grave, morose », s’oppose à la venue de la dame de Beaujeu, fille du roi, en son cloître de Notre-Dame et rappelle à son évêque « le statut du Livre Noir, daté de la vigile Saint-Barthélemy, qui interdit l’accès du cloître à toute femme (…) », V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre IV, chapitre V. Dans sa Physiologie du mariage, Balzac fait, lui, une référence humoristique à l’Index Librorum Prohibitorum, « ce Livre noir (…), index de l’histoire des variations de l’église conjugale. »
  • 20. Cette thématique romantique du livre mortifère se trouve chez Baudelaire par exemple (« La voix », Les Fleurs du mal) qui se souvient de sa toute prime enfance où son berceau était adossé à la bibliothèque : « Babel sombre, où roman, science, fabliau / Tout, la cendre latine et la poussière grecque / Se mêlaient. […] » ; et il conclut par cette formule, comble de la perception livresque et funèbre du monde et de soi : « […] J'étais haut comme un in-folio. » Il opposera plus loin dans son poème les cendres de l’écrit à la voix qui chante « comme le vent des grèves »…
  • 21. A. van Gennep publie son opuscule sur Le Folklore chez Stock en 1924. En 1937 est inauguré le Musée de l’Homme avec une section Arts et Traditions populaires consacrée à l’ethnographie française. C’est encore le moment où paraissent les premiers fascicules du Bulletin du Comité du folklore champenois ou du Bulletin folklorique de l’Ile de France et surtout les premiers volumes du Manuel de folklore français contemporain de van Gennep. Le terme « folklore » semble s’imposer encore, mais pour à peine vingt ans. Les usages pétainistes du mot et de la chose le déconsidéreront pour longtemps.
  • 22. Le folklore, paroles et musique de Charles Trenet, 1976.
  • 23. Pour une première approche des mille et une définitions du folklore comme objet de recherche, voir van Gennep (1977 : 19-41).
  • 24. C’est un effet de la civilisation occidentale des mœurs par exemple qui fait qu’il nous est devenu impensable qu’une veillée funèbre puisse être légitimement « joyeuse ». C’était pourtant la coutume (« La veillée : son caractère joyeux », in van Gennep, 1946 : 700-709), même si en principe, comme dans Madame Bovary, « […] les débuts de la veillée sont plus ou moins tristes. » Les usages veulent en effet que bientôt la vie (du corps) reprenne ses droits, et l’ironie flaubertienne tout autant sa malice : « Félicité avait eu soin de mettre pour eux, sur la commode, une bouteille d’eau-de-vie, un fromage et une grosse brioche. Aussi, l’apothicaire […] soupira vers quatre heures du matin : - Ma foi, je me sustenterais avec plaisir ! L’ecclésiastique ne se fit point prier […] ; ils mangèrent et trinquèrent […], excités par cette gaieté vague […]. » (Flaubert, 1971 : 338-341).
  • 25. Sur une analyse gramscienne de ce problème, voir A.-M. Cirese (1974 : 83-100 et 1976). Sur une étude de cas et des points de vue contradictoires sur le sujet, voir Zapperi (1987 : 697-703).
  • 26. La folklorisation consiste précisément à transformer en spectacle (touristique ou patriotique) des pratiques indigènes qui n’entrent plus dans le système culturel profond (vécu comme une évidence) d’une population. On parle aussi pour décrire ou dénoncer ces situations de folklorisme (Bausinger, 1993) ou de fakelore (Dorson, 1950 : 335-342).
  • 27. M. Maget (1968 : 1276) parle de la combinaison labile d’une valorisation esthétique (la belle ouvrage), éthique (la sagesse des proverbes de l’oralité populaire) et cosmologique (la proximité avec la nature, ses rythmes et ses bonheurs).
  • 28. Les fêtes de Noël et de fin d’année (depuis parfois l’enfantine Saint-Nicolas jusqu’à la familiale fête des Rois) constituent un vivant exemple d’une séquence cérémonielle (liturgique pour certains) qui impose son calendrier festif sur un bon mois d’hiver, sans compter le temps des préparatifs et le temps des souvenirs où la ritualité irrigue la vie sociale et le for intérieur de chacun.
  • 29. Par bien des aspects, l’histoire du folklore est un jeu de désenchantement – ré-enchantement ou d’euphémisation de l’indécent ou de l’impensable d’une culture qui domestique l’organique et refoule les manifestations vulgaires de la sexualité. Pensons aux Kryptadia (1884), recueils (anonymés) de folklore obscène européen confinés dans l’enfer des bibliothèques cultivées et imaginons l’audace (humaniste) d’Antonin Perbosc, instituteur ethnographe (1984 ; 1987). Cette posture morale et moralisatrice se traduit par une extrême rareté des publications scientifique sur ces sujets.
  • 30. Je pense par exemple au travail de C. Faure (1989) et à la mise au point de M. Maget (1993 : 90-107), à la contribution de D. Fabre (1997 : 319-400), enfin aux contributions réunies par Christophe (2009).
  • 31. Sur une critique très documentée du « romantisme nationaliste et populiste » si consensuel lors de ce congrès et sur une analyse très précises des effets théoriques et méthodologiques, idéologiques et politiques, fort ambigus de la manipulation des cultures folklorisées ou folklorisables, voir Velay Vallantin, 1999 : 481-506. Voir aussi sur cette période très cruciale dans le destin français et européen des représentations du folklore, S. Pear, 1998. Il n’y aura pas de 2e Congrès... Il faudra attendre 1971 pour un rassemblement européen de même ambition, sur des bases théoriques plus scientifiques (ethnologiques, sémiotiques, muséographiques) ; quant aux communications, elles furent souvent plus marquées par des problématiques moins innovantes (Actes, 1973).
  • 32. Les célèbres FFC (Folklore Fellows’ Communications, Helsinki) qui publient des travaux fondamentaux en folkloristique existent depuis 1910.
  • 33. La revue Folk-lore est publiée à Londres depuis 1890 par la Folk-lore Society. Le Journal of American folklore est publié par l’American Folk-lore Society depuis 1888.
  • 34. Tel le chant « terre et eau » de la cruche de grès et les autres « poètes naturels de la terre » dont parle Neruda dans ce volume même, p. 134-135.
  • 35. C. Lévi-Strauss, « Le Père Noël supplicié », Les Temps modernes, 1952, n° 77, p. 1572-1590. Texte repris récemment dans Lévi-Strauss (2013 : 15-47).
  • 36. Les travaux de E. P. Thompson (1991) sur la fracture entre « polite culture » patricienne et culture plébéienne dans l’Angleterre « pré-industrielle », entre confrontations symboliques et rebellions sociales, sont très importants et initient en quelque façon à l’englobement de la problématique des folklore studies dans les cultural studies à l’anglo-saxonne.
  • 37. Sur la destruction somptuaire des richesses et le gaspillage ostentatoire des biens en quoi pourraient se résumer très sommairement l’esprit du potlatch, voir Mauss (2007).
  • 38. Les liens entre le folklore et l’art moderne étaient une évidence dans les années 30. L’Exposition internationale de New York en 1939 aurait pu en témoigner avec quelque éclat, si, intersigne funeste, le bateau qui transportait la contribution française n’avait fait naufrage... Le folklore artistique, expression du génie national, sombrera dans la tourmente de l’Histoire.
  • 39. Sur l’historique des discussions qui ont conduit l’UNESCO à ses positions officielles actuelles sur le « patrimoine culturel immatériel » et par voie de conséquence sur le statut symbolique du « folklore » dans sa phaséologie, on pourra se reporter très utilement au document synthétique issu de la conférence internationale de Chengdu (Chine, juin 2013) sur le site de l’organisation : www.unesco.org/culture/ich/doc/src/20548-FR.pdf. Pour une analyse critique du point de vue anthropologique, voir le dossier réuni par Bortolotto, 2011  (n.d.e.) et en particulier les décapantes analyses de D. Noyes (2011 : 125-148) sur la « nationalisation de la culture populaire » - et les formes locales « d’altérité domestiquée » (communication personnelle).
  • 40. Si l’on réduit le folklore oral à l’oralité première, à un mythique âge d’or(-alité), alors le folklore verbal vivant n’existe effectivement plus. C’est la représentation romantique et datée du problème. Si l’on accepte par contre de considérer l’oralité comme elle-même historique et plurielles dans ses formes et ses fonctions, alors rien ne s’oppose plus, ni en théorie ni en pratique,  à participer aujourd’hui d’une manière ou d’une autre à la production verbale et à la signification culturelle d’une performance folklorique orale.
  • 41. A.-J. Greimas (1973 : 63-72) a proposé de distinguer des configurations socio-sémiotiques et ethno-sémiotiques, où les langages disjoints – la musique, la danse, le théâtre –, les fonctions ludico-esthétiques et les logiques individuelles d’appropriation se substituent à des codes pluri-sémiotiques – une fête –, des connotations sacrales – une croyance – et des praxis collectives du sens – un rite. Dans le domaine des arts, l’opéra ou telle performance de street arts peuvent être perçus et vécus comme des dispositifs à mi-chemin des régimes ethno et socio-sémiotiques.
  • 42. À vrai dire il y a toujours une certaine ambiguïté dans la folkloristique américaine contemporaine qui (me) paraît hésiter entre « expressive life » et « expressive traditions », sur fond de culturalisme et de diversité culturelle universelle : « All people, not only those of minority cultural or ethnic groups, have folklore. » (American Folklore Society, 2013). Les centres d’intérêt historiques sont ainsi « music, stories, folktales, handmade objects, language, customs, beliefs, traditions and rituals », autant de « windows into the worldviews and values of people and communities », actualisés en « art, context, folk, genre, group, identity, performance, text, and tradition. »
  • 43. Pageot par exemple (2011 : 18-22) considère que « la propension de l’art contemporain à l’hybridation, à l’appropriation et à l’infiltration procède de la même logique que celle du folklore. »
  • 44. Le folklore obscène des enfants (Gaignebet, 1980) serait l’exemple paradigmatique des biens sans maître et des artistes sans nom.
  • 45. La métis telle que la définissent Detienne et Vernant (1974 : 10) paraît en effet étonnamment proche de la créativité artistique du folklore en tant que cette forme d’être au monde implique « un ensemble complexe (…) d’attitudes mentales et de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquise » et que ces « tours de main, adresses et stratagèmes » s’appliquent à des réalités « fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës » de sorte que la pensée officielle ou autorisée rejette toute cette « pure et simple charlatanerie » au rang de la « routine » ou de « l’inspiration hasardeuse. »
  • 46. Il semble échapper aux chercheurs (souvent critiques) que l’UNESCO (2003 : article1, 2 et 15) considère, à juste titre selon nous, que « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés » concernent non seulement les communautés, les groupes mais aussi, « le cas échéant », les individus, spécialement lorsque ces individus « créent, entretiennent et transmettent le patrimoine culturel immatériel. » Il est vrai que l’idée sous-jacente est surtout de protéger les ultimes porteurs des traditions et/ou de prendre en compte la « production » ou la « recréation » d’un patrimoine dans la perspective du legs culturel à la communauté élargie plutôt que d’encourager l’invention d’un folklore personnel et actuel qui n’engagerait éventuellement que son inventeur et son point de vue subjectif.
Chapitre référent

Pour citer

Pour citer

 

 

Bibliographie

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