Les premières séances du séminaire ont été consacrées à la mise en place théorique d'une ethnocritique de la littérature dans le champ plus large des relations complexes qui lient littérature et sciences sociales. Dans le vaste mouvement historique et épistémologique de relecture des biens symboliques qui caractérise l'évolution des sciences humaines (histoire du quotidien et micro-histoire, sociologie des pratiques culturelles et ethnologie des sociétés du proche et du présent, etc.), l'anthropologie n'a cessé d'interroger le roman : le roman comme conservatoire des mœurs, le roman comme modèle scriptural et générique (la monographie) de l'écriture ethnographique puis comme repoussoir d'une science à la recherche d'une forme de légitimité institutionnelle, le roman dans la généalogie de la filiation mythe/conte/roman, le roman comme discours entrant dans la représentation qu'une société se donne d'elle - même, etc. Dans ce mouvement, l'ethnocritique, paradigme critique qui émerge dans le champ à la fin des années 80 occupe une place différente : articulant poétique des textes littéraires et ethnologie du symbolique, son objectif premier est de mettre en évidence dans les fictions littéraires la présence de traits culturels composites et leurs retraductions inventives (depuis la construction de chronotopes folkloriques jusqu'à la recomposition originale de structures rituelles). La présentation et définition de la démarche s'est faite à partir d'une lecture croisée des analyses proposées par F. Zonabend dans Mœurs normandes (Bourgois, 2003), J. Jamin sur les romans de Faulkner (" Des maisons impossibles ", L'Homme, 2000, 154-155), D. Fabre dans " Carlo Levi au pays du temps " (L'Homme, 1990, 114), Y. Verdier sur Thomas Hardy dans Coutume et destin (Gallimard, 1995) et des textes fondateurs de l'ethnocritique (JM Privat, M. Scarpa).
Nous sommes passée ensuite à des lectures appliquées. L'étude du Ventre de Paris de Zola a permis tout d'abord de préciser les phases constitutives de l'ethnocritique (ethnographie du document, ethnologie du discours, ethnocritique du symbolique, auto-ethnologie). Ainsi la question de la " matérialité " de ce roman des Halles peut échapper à la dialectique habituellement posée entre réalisme littéraire et pouvoir mythologisant de l'écriture zolienne si on la lit à l'aune des théories de N. Elias sur le procès de civilisation. De la même manière, certains concepts (que la sociologie urbaine théorisera plus tard) comme celui de " communauté ", de " village dans la ville ", de " société de voisinage " peuvent aider à lire la manière dont Zola construit les tensions constitutives d'un quartier parisien en pleine transformation. Enfin, croisant lectures historiques et anthropologiques du carnaval et théories bakhtiniennes de la carnavalisation littéraire, nous avons montré que ce roman des Gras et des Maigres récrivait un motif culturel connu, le combat de Carnaval et de Carême. L'inscription textuelle du phénomène carnavalesque qui retrouve des constantes de l'écriture et de l'imaginaire zoliens n'est évidemment pas sans incidence tant au niveau politique que symbolique.
La dernière partie du cycle de conférences a exploré la question d'une possible homologie fonctionnelle et structurelle entre récit littéraire et rite de passage. Elle a été initiée par une conférence de Daniel Fabre consacrée à l' " invisible initiation " des pages dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais et Le Page disgracié de Tristan L'Hermite. Nous avons mis ensuite en évidence comment Le Rêve de Zola pouvait être lu comme un récit d'initiation féminine inaboutie : l'analyse a été menée à partir du rôle essentiel des travaux d'aiguille dans l'éducation de l'héroïne (qui devient une brodeuse rare), mis en perspective anthropologique par les études d'Y. Verdier et de M. Albert-Llorca, entre autres, et du fait que le roman se présente comme une réécriture serrée de Cendrillon, tout en inversant in fine la logique du conte. Ces problématiques ont été mises à l'épreuve enfin dans un dernier exemple, Aline, de C. F Ramuz, roman qui inscrit toute la trajectoire de son personnage féminin dans les phases de séparation et de marge du passage (pour reprendre la définition de Van Gennep) sans lui permettre d'accéder jamais à une véritable socialisation.