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Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2007-2008)

Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2007-2008)

La première partie du séminaire a été centrée cette année sur l’ethnocritique des incipit, lieux stratégiques du texte. Le corpus choisi a permis de travailler tout à tour sur l’onomastique littéraire (Boule de Suif), sur le champ littéraire et ses médiations éditoriales (F. Villon), enfin sur l’entrée dans le récit comme mise en abyme d’un rite de passage (Madame Bovary).

 

- Le titre éponyme de la nouvelle de Maupassant est à la fois le sobriquet d’un personnage littéraire et l’un des surnoms du mannequin populaire et urbain de Carnaval. Cet anthroponyme carnavalesque se narrativise dans la toute première description poly-isotopique du corps de l’héroïne (consommation sexuelle, alimentaire et sacrificielle) : « Sa figure était une pomme rouge ». Le parcours ethnocritique dans l’économie symbolique de la fiction s’est ensuite focalisé sur quelques passages métonymiques ou métaphoriques d’une confusion sacrilège entre la dévoration du corps de la prostituée violentée et le sacro-saint mystère de l’Eucharistie. Un aperçu sur quelques exemples littéraires de la parodie de la Cène a été proposé (entre autres, la fameuse variante nivernaise du Petit Chaperon rouge) pour clore ce premier parcours, entre rite folklorique et rituel sacré.

 

- L’image du poète en ouverture de la première édition imprimée des œuvres de Villon (Le Grant Testament Villon…, éd. P. Levet, Paris, 1489) joue le rôle d’une préface iconique étrange. Ce célèbre portrait gravé sur bois en ouverture de l’incunable offre en effet une représentation diabolique de l’auteur (pied contrefait et retourné, serment de la main gauche, regard mauvais et décroisé, etc.). Cette imagerie littéraire a été analysée en termes d’anthropologie historique du symbolique à la fois comme le triomphe de l’éditeur qui impose et diffuse largement un ethos d’écrivain et la naissance d’une mythologie de l’auteur moderne dont le discours s’autonomiserait – loin de toute inféodation à quelque puissance religieuse ou politique – et s’autoriserait seulement de lui-même pour parler essentiellement de lui-même.

 

- L’entrée de Charles Bovary au collège de Rouen s’apparente à un rite de passage (rite du seuil et rite de première fois). Au seuil de l’univers fictionnel, la voix collective des pairs – « Nous étions à l’étude… » - raconte l’initiation d’un « gars de la campagne » aux codes et normes d’un monde urbain, bourgeois et académique. D’entrée de jeu « le chantre de village » est confronté à la brutalité du folklore scolaire et à l’ironie légitimiste du narrateur (« le visage d’un imbécile »). La mise en écriture de cette socialisation coutumière procède selon une série de violences symboliques emboîtées et propre en général au stade de la marge (A. Van Gennep) : a- équivalence structurale entre (in-)élégance langagière et (in-)élégance vestimentaire b- figuration parodique de Charles en Arlequin de foire  c- brutale charivarisation du “nouveau” (“on hurlait, on aboyait : “Charbovari!”). L’étude ethnocritique et ethnogénétique s’est intéressée en particulier à la subtile dissémination de l’isotopie arlequine dans la textualité signifiante du roman (la fameuse casquette et la description d’Yonville par exemple, ou encore les rêveries d’Emma à la Vaubyessard, dans les avant-textes).

 

La seconde partie du séminaire a été consacrée à l’approfondissement de problématiques ethnocritiques nouvelles, l’ethnogénétique, la catégorie de « personnage liminaire », l’opposition oralité / littératie.

 

- Après quelques rappels définitoires au sujet de la critique génétique (en littérature), l’accent a été mis sur l’apport de l’ethnocritique en la matière. On observe en effet que les différents états des manuscrits présentent souvent un matériau ethnographique assez riche que les règles d’élaboration des discours littéraires tendent à transformer. Ce sont quelques modalités de ce travail d’écriture et de réécriture qui ont été présentées, à partir d’exemples pris à Zola (Le Ventre de Paris) ou Flaubert (Madame Bovary).

 

- Dans le cadre de l’hypothèse d’une homologie possible entre rite et récit, structurelle et fonctionnelle, dont les principes ont été rappelés (l’oscillation du personnage romanesque entre « coutume et destin » chez Y. Verdier, le roman moderne narrant selon R. Barthes « le comment vivre ensemble » tout en mettant en scène ce que V. Descombes nomme à propos de l’œuvre de Proust des « conflits de cosmologie »), le cours a décliné les différents aspects de la question :

a- présence et typologie des rites dans le récit ;

b- le rite comme marqueur de narrativité et le récit comme rite ;

c- la catégorie de « personnage liminaire ». En effet, si la construction de l’identité individuelle et sociale (soit l’initiation) est bien au coeur du procès narratif, alors certains personnages, « bloqués » sur les seuils, « inachevés » (idiot, illuminé, saint des temps modernes, criminel, etc.) peuvent entrer dans une catégorie d’actant spécifique que nous nous proposons de nommer « personnage liminaire ». C’est à partir de l’éternelle jeune fille zolienne, l’Angélique du Rêve, que nous en avons posé les premiers éléments de définition.

 

- Dans un dernier exemple, M. C. Vinson (MCF à l’IUFM de Lorraine) a montré comment cette question de l’« initiation » du personnage pouvait se nouer aussi dans l’opposition discursive entre culture orale et culture écrite. Tibili ou le petit garçon qui ne voulait pas aller à l'école est un album pour la jeunesse fréquemment utilisé à l'école, notamment lors de l'apprentissage de la lecture. Une grande partie de l'ouvrage dépeint la vie idyllique de Tibili, le petit peuhl, qui ne veut pas quitter le monde enchanté de l’oralité pour s'acculturer aux pratiques scolaires. Le thème stéréotypé de l'enfant noir, l'évocation partielle et partiale de la culture traditionnelle nomade, les genres de la fable et du conte, les jeux typographiques du support en rendent compte. À la fois culture pour enfant et enfance de la culture, le monde de Tibili est également présenté comme une sorte d'« altérité pure », tenu à l'écart de tout métissage culturel. Mais les dernières pages proposent un revirement brutal. La rébellion active contre l'école et la lecture tourne court : la légitimité de l'écrit a bientôt raison des réticences du jeune héros qui bascule inconditionnellement dans la littératie. 

 

La dialogie culturelle à l’œuvre et la belligérance narrative des œuvres d’une part, les homologies structurelles entre site textuel, rite coutumier et mythe littéraire d’autre part, ont ainsi été problématisées, et, on l’espère, mises en évidence. 

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