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Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2010-2011)

Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2010-2011)

Marie Scarpa a poursuivi son étude de la situation de ces personnages des seuils et des marges qui (se) jouent des frontières ou des limites entre les diverses « cosmologies » fictionnelles. Le travail a porté cette année non plus sur l’éternelle jeune fille et sur la vieille fille mais sur les liens entre « liminarité » et « idiotie ». Pour analyser la trajectoire du personnage liminaire en termes d’initiation-au sens de construction de l’identité individuelle et sociale dans l’apprentissage des différences de sexe et d’état – trois études de cas ont été présentées.

 

M. Scarpa a montré d’abord comment Léone, le seul personnage féminin de la pièce de B.-M. Koltès Combat de nègre et de chiens (1983), est à la fois une non initiée, une mal initiée, une sur-initiée. Cette fada qui ne passe pas est placée en permanence sous le signe de la circulation et de l’échange. Ce personnage permet de repenser le tragique koltésien. Voilà en effet un théâtre qui ne cesse de rêver l’alliance (avec l’autre, l’ailleurs, l’étranger), mais qui au fond est un théâtre où l’on ne sort pas de l’utopie (cauchemardesque) de l’entre-soi, cet entre-soi imaginaire caractéristique comme on sait de l’inceste (et du cannibalisme).

 

Marie-Christine Vinson (Université Henri Poincaré, Nancy I) a tracé ensuite un portrait ethnocritique  de Bécassine, le fameux personnage de bandes dessinées pour la jeunesse. Cette héroïne liminaire est comme arrêtée dans un entre-deux, à mi-chemin entre l’enfant et l’adulte. Si elle occupe d’innombrables fonctions – un peu comme Charlot – ce sont autant d’occasions de ratages cocasses dans sa socialisation. Mais c’est grâce à ses « bêtises » qu’elle approche des normes pratiques ou langagières du comportement, même si son acculturation est vouée en fait à demeurer inachevée. Cette idiote de village s’inscrit dans la lignée des Jean le Sot du folklore à l’épreuve eux aussi de l’arbitraire de toute culture et inévitablement confrontés à la violence symbolique de tout ordre anthropologique.

 

Sophie Dumoulin (doctorante, Université du Québec à Montréal) a étudié enfin la célèbre figure de La Esmeralda et la douce idiotie de l’enfance dans le roman de V. Hugo, Notre-Dame de Paris.  L’accent a été mis sur les hybridations génériques et les avatars transculturels du personnage qui architecturent l’idiolecte poétique du romancier.

 

La deuxième partie du séminaire a permis d’entendre d’autres voix encore de l’ethnocritique canadienne et d’ouvrir un chantier nouveau. Véronique Cnockaert (professeure de littérature à l’UQAM) a analysé la carnavalisation de la guerre chez Maupassant à partir d’une lecture de « Saint-Antoine » (1883), l’un des Contes de la bécasse. Elle montre comment le rite (la tuée du cochon) peut être non seulement l’arme privilégiée des dominés mais aussi l’âme propre de la littérature quand elle dit la violence tragique d’un monde où la coutume est mise sens dessus dessous.

 

Sophie Ménard (docteur, Université du Québec à Montréal) a exploré elle le charivari du fou et sa conduite narrative dans La Conquête de Plassans (Zola, 1874). Cette hypothèse ouvre de nouveaux horizons à l’interprétation d’un roman dont la polylogie culturelle ne saurait être minorée, depuis le grain de l’écriture (l’expressivité de l’onomastique provençale par exemple) jusqu’au système d’une prose dont les (dis-)harmoniques anthropologiques seraient la ligne de fuite.

 

Jean-Marie Privat a enfin consacré plusieurs séances au(x) rôle(s) des mantiques (attestées ou imaginaires) dans l’économie langagière et symbolique de la fiction. La lisibilité de tout récit présuppose certes une certaine prédictibilité narrative. Mais il arrive que l’univers augural des signes soit constitutif de la poétique du roman. L’exemple de Madame Bovary a permis de commencer à comprendre comment présages (folkloriques), malédictions (bibliques) et autres mauvais signes (mythologiques) disséminés dans ce récit s’hybrident et se réinventent pour signifier à la fois et paradoxalement le destin des personnages et l’absence de tout Destin. A charge évidemment pour le lecteur de prêter crédit à un système de (mé-)créance propre à la culture du texte, et dont joue un narrateur omniscient...

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