Le séminaire a été ouvert par Marie Scarpa lors de deux séances de présentation et de situation de l’ethnocritique dans le champ des herméneutiques littéraires et dans ses relations avec l’anthropologie du symbolique. M.S. est revenue sous forme de dossiers illustratifs sur la question subtile de l'homologie fonctionnelle et structurelle entre rite et récit (le rite dans le récit, les rites du récit, le récit comme rite) dans des œuvres majeures du XIX° s. (L’Assommoir, Le Rêve et Un cœur simple). Elle a porté une attention particulière aux avant-textes ou brouillons comme espace privilégié d’une pensée sauvage à l’œuvre dans le roman.

Le séminaire a ensuite accueilli trois chercheurs invités. Il s’agissait de confronter l’ethnocritique à des approches connexes ou voisines et de montrer aussi comment notre paradigme de référence peut s’ouvrir à des champs culturels nouveaux. 

C’est ainsi que pour illustrer cette ouverture du corpus à des pratiques artistiques nouvelles, Marie-Christine Vinson a présenté une inédite analyse ethnocritique de Tabula (1974) de Simon Hantaï. Elle a montré comment l’œuvre du peintre se donnait à regarder comme un micro-monde (Bakhtine) où se nouent une logique mythico-rituelle (la dialogie du masculin et du féminin, du profane et du sacré) et une praxis à la fois artisanale et transgressive (hybridation du tracé régulier et du rendu aléatoire, conjugaison du geste mécanique et de l’effet esthétique). Sébastien Roldan – chercheur postdoctoral (Canada) – a présenté pour sa part un exposé original intitulé « Vertus thérapeutiques du suicide dans Le Petit Chose d'A. Daudet ». Il s’agissait de croiser les chemins d’une étude des savoirs socio-ethnologiques et intertextuels du récit et d’une modélisation stylistique du texte selon la logique des rites de passage, y compris dans ses effets possibles sur le lecteur. Caroline Proulx (UQAM) enfin a présenté une communication très documentée et très engagée sur L’écrivain québécois ‘maudit’ dont les œuvres sont le lieu de transmission d’un savoir historique, d’une protestation politique et d’une revendication artistique. L’enjeu était aussi de montrer comment à leur façon psychanalyse et ethnocritique sont à l’écoute de ces résonnances hétérodoxes.

Les autres séances du séminaire - assurées par Jean-Marie Privat – ont été consacrées à la lecture de Paul et Virginie (1789), récit dont la fortune culturelle et éditoriale fut hors du commun, indice probable d’un travail de l’imaginaire européen moderne sur lui-même. L’affrontement tragique et comme ‘expérimental’ des cosmologies orales et des pouvoirs (exogènes) de l’écrit structure l’ordre (et surtout les désordres mortels) de ce récit, tombeau littéraire des oralités ultramarines et/ou rêvées, chambre d’écho des oralités perdues. Mais cette histoire peut aussi être perçue comme un chant du monde pour autant que parfois « l’inspiration poétique trouve son point de départ dans le sentiment nostalgique d’un contact rompu, d’une perte des énergies vitales » (Starobinski). La poétique culturelle du texte se déploie alors sur le registre conjoint de la séparation et de la plénitude : une prose enluminée (multi-sensorialité d’un paysage exotique sur le strict noir et blanc de la monotone page imprimée) ; une poésie de l’écho quand le texte s’enchante de ce phénomène purement oral et aural qu’est l’écho, agent sémiotique où se répondent nature et culture et où se dialogisent bruit(s) / silence(s) / musique(s) / langage(s). Le travail s’est provisoirement conclu par l’ébauche d’un système de micro-cosmologies emboitées (le ça symbiotique, l’ego somatique, le moi sémiotique, le je linguistique – verbal/scriptural) que le récit stylise et syncrétise. Ainsi peut-on parler de la littérature comme échographie(s)… et de la littérature comme ressource pour un enrichissement de l’anthropologie des imaginaires de notre culture.