Malgré tout ce que l’on a pu écrire sur « Les Misérables», la critique littéraire n’a accordé que peu d’importance aux objets. Pourtant, plus que de simples effets de réel ou de pittoresque, ils s’insèrent, au cœur du roman, dans un univers perçu comme un "ensemble de signes" ; ces « objets signifiants » sont "comme la réification des forces sociales en présence". Points nodaux de la culture puisqu’ils participent à ses trois dimensions – "fonctionnelle, mythique, esthétique" - ils ne peuvent se comprendre que comme carrefours de pratiques, médiateurs grâce auxquels les hommes ont prise sur leur environnement. Cette dimension « syncrétique » des objets associés à leurs usages dépasse en fait leur simple prise en considération dans l’ordre du signe littéraire.
Or, dans Les Misérables, un objet hugolien particulier semble guider le cheminement narratif du lecteur et rendre compte des lignes de force de l’œuvre. En effet, un « détail » dans la caractérisation du personnage principal a attiré notre attention : tout au long du roman, Jean Valjean s’arme de « bâtons »… Objet de la marge et du passage, le bâton sera étroitement lié aux bornes qui abondent dans l’œuvre et dont le rôle est fondamental dans le déclenchement du récit. L’histoire de Jean Valjean est avant tout celle d’un déracinement, d’un effacement que le parcours du héros tente de conjurer par la quête/reconquête d’une identité.
Le bâton comme support de sculpture permet à Hugo de faire le lien entre le travail romanesque et le travail du bois. Les savoir-faire liés au bois sculpté se retrouvent dans les pratiques scripturaires de l’écrivain et aussi dans les images et les thématiques récurrentes de son œuvre, à travers certains gestes : marquer et tirer parti.