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Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2002-2003)

Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2002-2003)

 

 

Ce cycle de douze conférences se proposait d'initier à la lecture ethnocritique des textes littéraires.

 

En préambule, l'ethnocritique a été située dans le champ des études littéraires en fonction de ses principaux paradigmes de références (M. Bakhtine et la polyphonie culturelle, P. Bourdieu et la critique de la doxa lettrée, Y. Verdier et D. Fabre et l'ethnologie du symbolique, par exemple).

 

Le travail de critique littéraire à proprement parler a pris comme premier exemple un conte publié en 1885 par G. de MaupassantToine. Après un bilan critique de lectures souvent psychologisantes ou historicisantes, nous avons mis en évidence le réalisme carnavalesque de ce récit (Toine est - littéralement - un géant de carnaval et, à ce titre, un héros culturel local proche du trickster). Les catégories bakhtiniennes qui caractérisent la culture carnavalesque (familiarisation, mésalliance, excentricité, profanation) ont servi de fil conducteur à l'analyse.

 

L'étude a été particulièrement attentive à l'élaboration textuelle de la fiction. Citons à titre d'exemple le système des personnages construit sur le mode de l'opposition rituelle de Carnaval et de Carême ou encore la parodia sacra autour de l'homme enceint et de la couvade. Nous avons aussi posé le problème des cadres historiques et culturels de réception d'une œuvre qui propose une mise en spectacle d'une culture locale indigène (la campagne normande) très proche en fait des exhibitions ethnographiques et zoologiques d'hommes et de femmes de couleur regardés comme exotiques dans les capitales européennes à la fin du XIX°s. L'analyse croisée de l'interdiscours social et du système d'implication du lecteur dans l'univers de la fiction a mis en évidence le jeu de la connivence distanciée qui tend à régler ici les postures de lecture.

 

Le deuxième " terrain " exploré a été un sonnet bien connu d'Arthur Rimbaud, "Ma Bohême". Il s'agissait cette fois d'éprouver la force heuristique de la démarche ethnocritique à propos d'un genre littéraire non romanesque. C'est à partir de l'hypothèse du dialogisme culturel que l'étude a été conduite. La conjonction poétique du " Petit-Poucet rêveur " et de la " Grande-Ourse " par exemple, synthétise et syncrétise des traits culturels hétérogènes (conte oral paysan réapproprié par une écriture de facture classique et mythe grec ancien revitalisé dans le légendaire folklorique). La dichotomie nature / culture qui organise si souvent la lecture de ce poème a été invalidée (cf. les travaux de Ph. Descola sur l'anthropologie de la nature). Le poème a ensuite été décrypté comme l'équivalent symbolique d'un acte délibéré d'ensauvagement (solitude, nomadisme, dénuement, expérience du hors-temps, mise à l'épreuve du corps). Ce récit de passage est enfin structuré comme un rite de passage qui fait à la fois le garçon et le poète. C'est la conquête de soi en garçon (voir les études de D. Fabre et N. Belmont sur l'exploration qualifiante des marges sociales, sur le jeu masculin avec la mort, sur les inversions de sexe et les ethno-logiques d'auto-engendrement) ; mais c'est tout autant la quête très moderne du poète en soi, par l'appropriation singulière et heureuse de mille et un éclats de culture. Comme si le jeune Rimbaud avait déjà compris que dans un monde où la sacralité s'est transférée sur la culture, " chacun créera son propre rite, - pour la découverte de soi-même " (M. Leiris).

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