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Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2008-2009)

Séminaire "Ethnocritique de la littérature" (EHESS, 2008-2009)

La première partie du séminaire a travaillé la question de la logogenèse de la littérature (J.M. Privat). L’étude d’une nouvelle de Maupassant – Les Sabots – et de ses dérèglements incessants dans la communication langagière (par excès, par défaut, par dénégation) a permis de déplacer la focale de la culture dans le texte (« le bas corporel et matériel » et le réalisme grotesque selon M. Bakhtine) à la culture du texte lui-même. Ainsi, nous avons montré que l’expression « mêler ses sabots » est non seulement au principe métonymique des péripéties du récit mais surtout de son engendrement intradiscursif par effet proleptique et analeptique. Ce travail de signifiance ancré dans l’imaginaire de la langue (et de la circulation des biens et des femmes) permet de  jouer avec les frontières du visible et de l’invisible (le retour subliminal de la morte) et de transgresser symboliquement l’interdit de l’inceste (« ma fille » et / ou « ma femme »). Un récit dialogue avec lui-même et avec d’autres récits, mais aussi avec des croyances, des rituels et des coutumes, en somme avec l’ensemble des façons de dire, de faire et de penser qui caractérisent une culture. C’est ce qu’a montré l’exploration logogénétique du meurtre de Goliath Steinberg, ce « cochon de Prussien » : « Donc, puisque tu es un cochon, je vas te saigner comme un cochon (…). » La débâcle des sens engendre dans le roman une réelle et tragique confusion entre l’ordre métaphorique du linguistique (« être un cochon ») et l’ordre ontologique du référent (« être un Prussien »). Le roman joue de la porosité des catégories anthropologiques habituelles (animal vs humain) pour les reconduire in extremis, en inversant les places toutefois. Cette logogenèse de la tuée d’un cochon (de Prussien) prend toute sa puissance transgressive en déroutement des pratiques rurales traditionnelles ; elle s’inscrit aussi en variante naturaliste d’autres récits similaires et d’autres comportements rituels comparables (meurtres médiévaux et sacrificiels d’enfants juifs, contes de Grimm, émotions populaires modernes et exécutions politico-magiques, imagerie des mondes à l’envers, etc.).

 

La seconde partie du séminaire (M. Scarpa) a été consacrée à l’approfondissement de la problématique du personnage liminaire. Dans le cadre de l’hypothèse d’une homologie possible entre rite et récit, dont les principes ont été rappelés (l’oscillation du personnage romanesque entre « coutume et destin » chez Y. Verdier, le roman moderne narrant selon R. Barthes « le comment vivre ensemble » tout en mettant en scène ce que V. Descombes nomme à propos de l’œuvre de Proust des « conflits de cosmologie »), la trajectoire narrative des personnages pourrait être considérée comme l’histoire d’une mise en marge, qui aurait pour objectif de les faire accéder à un nouveau statut. Mais certains d’entre eux se caractérisent précisément par leur incapacité définitive à quitter l’entre-deux de la phase de marge (pour reprendre la terminologie de Van Gennep) : nous proposons de les qualifier de « personnages liminaires ». Ces derniers sont donc toujours des non ou des mal « initiés » (à condition de donner à l’initiation une acception strictement anthropologique). Ainsi, la Teuse (le premier exemple étudié), la servante boiteuse et sonneuse de cloches de La Faute de l’abbé Mouret de Zola, est bien avant tout un personnage de (vieille) fille qui n’est pas « passée ». La fonction première de ce type de personnage est sans doute d’être un personnage-témoin, placé simplement au degré ultime de l’échelle du ratage initiatique qu’empruntent tous les personnages du roman moderne. Mais l’initiation impossible lui confère aussi une ambivalence constitutive qui peut faire de lui un médiateur pour les autres. Le moins initié devient alors un sur-initié ; dans certains cas même, le personnage liminaire a tout du trickster. C’est précisément sur cette dernière dimension que Guillaume Drouet (Celted-Université de Metz) est revenu dans un second exemple portant sur Les Misérables de V. Hugo, en analysant le rôle de Petit Gervais, le personnage de petit Savoyard, dans le destin narratif de Jean Valjean (qui fait, lui, jouer plusieurs figures culturelles de passeur puisque l’ancien forçat est tout à la fois berger, parrain, armièr et marieur).

 

La vitalité des recherches en ethnocritique a été manifestée également, dans une dernière séquence, par les interventions de deux autres invités. Céline Cerny (Université de Lausanne, Archives littéraires suisses – Berne) a présenté une étude sur « Le sacrifice de l’homme sauvage : un regard ethnocritique sur Jean-Luc persécuté de C.-F. Ramuz » où les coutumes traditionnelles et les destins personnels se heurtent et se contredisent tragiquement. Jérôme Meizoz (Université de Lausanne) a analysé de son côté les « Conflits de frontières en littératie » en montrant comment Rousseau articule théoriquement oralité et culture écrite et comment son écriture joue ou se joue de cette double affiliation. 

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