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3.1 Bécassine ou comment on fait les bécasses

3.1 Bécassine ou comment on fait les bécasses

     Le personnage de bande dessinée, Bécassine, apparaît en 1905 dans le premier numéro de La Semaine de Suzette1. Au début du siècle dernier, c’était surtout la presse pour enfants qui publiait en effet des bandes dessinées, pour éduquer en amusant… À la vérité, une fantaisie récréative bien pensante, héritière idéologique et pédagogique du lointain Magasin de l’Enfance Chrétienne2.

     Les 27 albums3 qui constituent la série complète des Bécassine proposent un ensemble de vignettes où le texte figure sagement sous des images qui se détachent nettement sur fond blanc, le plus souvent sans arrière-plan, images qui ne débordent guère de leur cadre. Bécassine est omniprésente (il y a comme une forme d’homologie esthétique et narrative avec les héros du conte traditionnel et l’enchaînement rapide d’actions centrées sur un personnage central). Dans chacun des volumes, on retrouve une organisation identique : une soixantaine de saynètes inlassablement juxtaposées les unes aux autres, dans l’unité de la page. Le choix de ce dispositif sémiotico-narratif disons « simplet » sinon simpliste confère à chaque planche une très grande lisibilité, quitte à provoquer à la première lecture un évident effet d’amusante… simplicité.

     Toutefois, à la réflexion, on considère volontiers que le monde de Bécassine constitue une sorte d’ethnographie ou de chronique illustrée de la France de l’époque, d’une France de la modernisation plus que d’une France des terroirs d’ailleurs. Une analyse plus culturelle – entre cultural studies et ethnocritique – peut y lire aussi la mise en forme spécifique à l’adresse d’un public enfantin des formes innombrables et objectives de la domination symbolique et des modes d’acculturation active et réactive dont cette drôle d’éternelle damoiselle éternellement migrante est le théâtre singulier.

     Notre Bécassine de papier est en effet plus complexe que sa représentation réductrice habituelle et que l’usage stéréotypé du mot le laisserait trop vite supposer… Certes, dans la généalogie de son prototype verbal « bécasse », l’avatar « bécassine » désigne bien une jeune fille naïve aussi drôle qu’inoffensive, une sotte en somme que l’on se doit de considérer avec amusement et condescendance. Mais Bécassine est loin d’être un « anti-héros », un « paysan du Danube » ou un « Huron »4, si l’on ose dire, même si elle participe d’un bestiaire féminin ironique et dépréciatif (« une oie blanche », « une dinde », « une bécasse »). Écoutons-la un instant s’auto-analyser : « Je suis comme ça : j’ai trop d’idées, j’en ai souvent plusieurs ensemble, et pas pareilles ; alors je fais des choses qui surprennent le monde. » (Caumery et Pinchon, 2012 : 38) Aussi faut-il éviter de tomber dans le piège d’une représentation trop lisse du récit et d’une interprétation trop obvie du personnage dont le trop plein d’idées est peut-être l’indice d’une idiosyncrasie culturelle ou d’une organisation du monde in progress5… Pour essayer d’y voir un peu clair dans ce syncrétisme bécassinien, nous nous interrogerons donc sur la manière dont cette fiction pour la jeunesse construit ce personnage devenu le type lexical et le prototype proverbial (ce qui n’est pas si fréquent !) de l’amusante et sympathique idiote.

 

Bécassine, entre coutume (sociale) et destin (personnel)

Bécassine est présentée comme engagée dans un processus classique d’initiation formelle ou informelle qui mène la petite fille de l’enfance au statut de jeune femme. Mais toutes ses mésaventures (ou « épreuves [dis-]qualifiantes ») consistent à la montrer prise dans un tourbillon de ratages successifs. C’est sur ces ratages que repose la dynamique du récit… et la mythologie de Bécassine.

     Nous analysons ces ratages que le récit désigne sous le nom de « bêtises » et qui parasitent ou entravent le processus normal de socialisation ou de conform(-is-)ation sociale comme des ratages culturels (au sens socio-anthropologique du terme). C’est particulièrement vrai pour les premiers albums – L’Enfance de Bécassine (1913), Bécassine en apprentissage (1919) – qui jouent sur ces étapes imposées mais « mal négociées » et en exploitent le détournement sur le mode comique. On le sait, Bécassine passe particulièrement mal les seuils symboliques et ses apprentissages pratiques sont toujours incomplets. Pas nuls, imparfaits. Elle apprend en vérité, mais incomplètement ; elle a toujours un temps ou un cran de retard sur les normes de référence en usage, et sur les autres (y compris les petites lectrices en train de lire son histoire, qui sont loin d’être toutes des petites filles modèles…). Elle occupe ainsi, en termes de pédagogie sociale, la fonction du contre-exemple relatif, à son corps défendant, et non de la rebelle évidemment.

     Dès l’album L’Enfance de Bécassine se mettent en place les traits constitutifs qui fixent de façon quasi définitive l’image de Bécassine : une idiote si on veut, une sotte à coup sûr et à coups répétés, mais une jeune nigaude bien sympathique aussi, aux prises avec la violence symbolique des siens et les manières de faire et les façons de dire modernes. Quelques exemples nous permettrons de préciser notre propos.

 

Une naissance qui augure mal

Tout commence par la séquence coutumière traditionnelle : naissance, premiers jours de la vie, baptême. Or l’album sème le désordre dans l’ordre des choses dès la naissance au village de notre petite héroïne. Les signes qui accompagnent sa venue au monde sont en effet autant de présages explicitement prémonitoires. Non seulement la petite « Labornez » – c’est son patronyme – voit le jour à Clocher-les-Bécasses, un bourg breton, mais elle vient au jour au moment même où sillonne le ciel « un fort passage d’oiseaux sauvages : oies, canards, bécasses » (Caumery et Pinchon, 1992a : 1, nous soulignons).

     Elle naît ainsi littéralement sous le double signe de la bécasse (le clocher et le vol) et elle advient dans le récit sous le régime parodique des naissances prosaïques (le point de vue de la culture folklorique villageoise) et non point mythiques (les signes célestes qui marquent les naissances divines, Jupiter ou Jésus). Et ce bébé rose et dodu est affublé d’un nez si petit qu’on le voit à peine, comme son patronyme (presque déjà un sobriquet) le signifie : l’identité verbale et physique tout ensemble de « Labornez », c’est bien d’être de la lignée des filles au nez borné ! Or si l’on en croit la physiognomonie populaire de Clocher-les-Bécasses, un grand nez est signe indubitable d’intelligence (virile ?). Elle manquera donc de nez… et d’esprit. Ce trait –trait de crayon et trait physique – fait partie du personnage et ne sera jamais modifié dans les nombreux albums qui suivront. C’est donc incomplète, mal finie, que la fillette Bécassine entre dans la vie et dans la fiction.

 

Un sobriquet régressif

Vient le temps du baptême qui se déroule sur les deux pages suivantes de l’album. Notre héroïne a été prénommée « Annaïck » par ses parents, le plus normalement du monde breton donc (sainte Anne est la patronne des Bretons comme chacun et chacune savait au siècle dernier). Pourtant, elle va être débaptisée et rebaptisée… En fait, le récit ne va pas s’intéresser au rite religieux du baptême qui doit consacrer le prénom, mais à une sorte de baptême parodique. On y voit s’y rejouer le rite de dénomination sur un mode profane et ludique. L’oncle Corentin, le parrain, en prévision du repas festif, a ramené de la chasse… quelques-unes de ces fameuses bécassines. Il ne peut s’empêcher de comparer le profil de sa filleule et la tête de l’oiseau pour aussitôt regretter que le nez de l’une ne soit pas comparable au bec de l’autre. Dans l’assistance, quelqu’un s’écrie « en riant » – par antiphrase – : « C’est une vraie petite bécassine » (3), et tout le monde d’applaudir. C’est ainsi qu’Annaïk Labornez change de sainte patronne et entre dans le bestiaire des surnoms populaires et moqueurs6, par la grâce d’un officiant qui est « un grand chasseur un peu original et qui a toujours le mot pour rire » (2). Voilà notre oiselle enfermée dans le bestiaire des sots et des mots, comme son lointain ancêtre Aucassin qui était innocent lui aussi, comme une oie blanche…

     La manipulation symbolique consiste ainsi à l’extraire du système culturel initial – « Annaïck Labornez » – pour la faire glisser vers le monde de l’analogie animalière… –Bécassine. Cette désinscription relative du champ de la culture et cette régression dont elle est le bec émissaire ne lui est évidemment pas imputable – elle vient de naître et renaître, aussitôt dit aussitôt fait, sous nos yeux. Comme si la bande dessinée, par la bande justement (c’est sa communauté de naissance qui est censée la débaptiser et la rebaptiser et non l’autorité auctoriale), lui réinventait un destin –nomen omen – par un coup de force qui est peut-être le symptôme de la résistance intéressée de ses pères de papier et de crayon : sa bêtise est le garant de l’esprit des lecteurs et lectrices de son récit, et de la supériorité de leurs mondes. Mais l’astuce est évidemment que ce processus joue un double jeu (y compris sur les enfants qui lisent) : est-il question d’une villageoise bretonne bornée7, forcément bornée et/ou d’une toute petite fille qui advient naturellement dans une culture particulière dont les règles sont à apprendre, bon gré mal gré ?

 

Un rite incompris

L’album propose une scène prémonitoire de la distance culturelle de Bécassine aux codes rituels urbains et modernes. Lors du mariage de la cousine Yvonne, Bécassine a beaucoup de mal à respecter les contraintes de la cérémonie : elle parle quand il faut se taire, répond à la place des mariés, bouscule les codes. Elle est peu « civilisée »… Elle passe ainsi à côté du rite des fleurs nuptiales : lorsque la mariée distribue aux jeunes filles et aux fillettes les fleurs d’orangers de son bouquet, selon l’usage, Bécassine s’amuse à saute-mouton avec son ami Joël. Quand elle revient, il n’y a plus de ces fleurs qui, dit pudiquement le texte, portent bonheur. Or, depuis le XIXe siècle, tout le monde est censé savoir que la fleur d’oranger est par excellence le symbole de la virginité et de la fécondité (Van Gennep, 1976 : 401), indispensables pour faire un mariage réussi en un mot. Mais Bécassine ne semble pas avoir accès à ce type de logique symbolique. Elle confond les signes et les choses ; elle désymbolise le langage des choses et pragmatise le langage des mots. Elle fait spontanément appel à une logique pratique et demande une orange qu’elle peut manger, ravie d’avoir fait une si bonne affaire ! Jamais là où il faut, quand il le faut, Bécassine rate ainsi son entrée dans le processus des apprentissages symboliques féminins et maternels. « La drôle de petite bonne femme », comme dit Bogozier (Caumery et Pinchon, 1992b : 60), reste et restera d’ailleurs coincée dans les marges de l’enfance et du célibat.

 

Un apprentissage professionnel manqué

Le deuxième album dans la chronologie du personnage, Bécassine en apprentissage, exploite le ratage des initiations techniques et professionnelles (ses « bévues » comme dit le texte). Cette fois encore, ce qui est mis en relief, c’est la difficulté pour le personnage à réussir les rites de passage qui « font » les filles bonnes à marier et bonnes pour le mariage et la famille. Comme les petites paysannes de son époque et de son milieu, vers l’âge de 11 ou 12 ans, Bécassine doit apprendre à gagner sa vie. Elle va donc en apprentissage à la ville, et se trouve confrontée à un triple apprentissage en fait (ou à une triple reconversion… et à ses résistances aux changements qui échappent en principe à la conscience et à la réflexion) :

  • un savoir-faire artisanal (apprendre à coudre par exemple) ;
  • une technique sociale du corps (incorporer un nouveau savoir-vivre, différent de la mode de Bretagne) ;
  • une compétence langagière enfin (s’initier aux codes verbaux de la communauté de référence).

     Formellement, Bécassine accomplit le trajet traditionnel des jeunes filles et son parcours s’inscrit dans le calendrier coutumier : « Par un beau matin d’hiver » (1), elle se rend donc à la ville voisine (Quimper) pour s’initier à la couture. Ce sera au bien nommé « Palais des dames » – dans l’atelier de Mme Quiquou. Mais notre Bécassine est littéralement déplacée dans cet univers, elle agit à contre-temps, le contre-temps d’une acculturation immédiate, exigeante et totale. Aussi, elle « empitre » (48) tout.

     Voici « Bécassine vendeuse » par exemple, une demoiselle de modes en somme. Une cliente désire un assortiment de gants : Bécassine de déballer tous les cartons de gants devant le regard ébahi et amusé de la compréhensive cliente qui rit de bon coeur – comme nous – du naïf empressement de la débutante. La couturière n’apprendra d’ailleurs presque rien à Bécassine, qui conservera la même coiffe8, ses gros bas, ses gros souliers, sa tenue immuable, sa démarche décidée et ses grandes enjambées, plus masculines que féminines. Elle reste en partie une paysanne « empaysannée » (Bourdieu et Sayad, 1964 : 141), attachée à sa culture villageoise d’origine, comme égarée jusqu’au ridicule dans un monde « dépaysanné » qui a su s’adapter à la culture urbaine. Au « Palais des dames », même si le costume breton est de rigueur pour les employées, les robes ont des couleurs élégantes, les coiffes sont raffinées. Et les demoiselles vendeuses, qui habillent les clientes à la mode de Paris, savent aussi bien parler aux baronnes aimables qu’aux bourgeoises revêches.

     Ainsi, si l’on dresse une typologie sommaire des personnages dans leur rapport avec les phénomènes de socialisation, Bécassine a une place à part, qui la situe dans la catégorie des acculturés de bonne volonté mais dont l’acculturation est toujours incomplète, en retard sur le mouvement général d’une nécessaire acculturation, loin de la domus. Or cette acculturation boiteuse est présentée comme un signe de sottise innée et d’autant plus manifeste que d’autres personnages ont parfaitement réussi le parcours dans lequel Bécassine échoue. Mme Quiquou n’est-elle pas passée du statut de marchande ambulante allant « de foires en pardons » (Caumery et Pinchon, 1992b : 10) à celui de propriétaire d’une maison de confection située dans le centre-ville de Quimper ? Elle est ainsi en position d’intermédiaire culturel (Asseo, 1981 : 627-629), car elle sait naviguer, elle, entre deux mondes : celui de la campagne et celui de la ville, celui de la tradition et celui de la modernité. Véritable transfuge, parfaitement acculturée ou biculturée, Mme Quiquou assure la continuité et l’harmonie sociale, là où Bécassine fait s’entrechoquer les cultures (et justifier la dure loi du darwinisme social).

     Aussi la vérité anthropologique des albums de Bécassine est-elle que si elle a tout à apprendre (les épisodes de l’inexpérience du monde d’Uzbekassine sont sans fin), c’est que tout est codé, même si l’arbitraire culturel et social est toujours présenté sous le sceau de l’évidence doxale. La vérité sociale et historique est que Bécassine se trouve prise continûment entre un imaginaire de la culture coutumière traditionnelle et un destin personnel exigé par la vie moderne dont elle ne maîtrisera jamais naturellement le mode d’emploi.

 

Bécassine, entre idiotie et idiotismes

Certes, les mésaventures de Bécassine reposent systématiquement sur la différence des codes culturels des « gensses de la vil » et des « gensses de la kampagne ». La fin des terroirs (Weber, 1983) exposait les jeunes filles à s’expatrier et à s’acculturer aux us et coutumes de la ville. Le décalage des habitus était tel que malgré la bonne volonté (supposée) des sujets, les connivences n’existaient pas ou guère. Au village, par exemple, l’interconnaissance locale est de règle. Aussi Bécassine s’étonne-t-elle que le patron de l’auberge à Quimper ne la reconnaisse point (Caumery et Pinchon, 1992b : 1). N’est-elle pas venue ici même, voici trois ans, un jour de marché ?! La sottise (culturelle) de Bécassine consiste bien à transporter dans l’univers urbain des rapports sociaux propres aux petites communautés traditionnelles (Poirier, 1968 : 542-547).

     L’ethnotype de Bécassine, sa folklorisation et sa muséification font d’ailleurs l’objet d’une planche. Sur le/la mode des premiers musées régionaux ou locaux d’ethnographie, le musée de Quimper9 – nous citons – « renferme une collection de figures de cire grandeur nature en costume de toutes les régions de Bretagne » (Caumery et Pichon, 1992a : 44). Clocher-les-Bécasses y est évidemment « particulièrement bien représenté » et Bécassine croît reconnaître l’oncle et la tante Quillouch, et puis la cousine Yvonne qui sont venus rejoindre l’oncle Corentin et sa nièce : « J’vas les embrasser ! », s’exclame toute ravie Bécassine (44).

     Mais les albums de Bécassine ne sont ni des traités de sociologie appliquée ni même des traités de savoir-vivre ou des vitrines de musées des traditions populaires locales. Ce sont des fictions iconiques et verbales. En fait, le rapport de Bécassine au langage des autres semble subsumer ses difficultés à passer d’une cosmologie (« une théorie collective du monde » [Descombes, 1987 : 178]) à l’autre. Elle n’est pas à l’aise dans la « rhétorique » des gens dont elle partage de gré ou de force la compagnie. Or « le signe qu’on est chez soi », c’est à la fois « qu’on parvient à se faire comprendre sans trop de problème », mais aussi qu’on « réussit à entrer dans les raisons de ses interlocuteurs sans avoir besoin de longues explications » (179). C’est ainsi que cette dissymétrie se cristallise en fait – au cœur langagier de la fable – sur l’aspect imagé des façons de parler ou des expressions idiomatiques – qui en effet sont autant de « micro-mondes » (pour reprendre la formule de Bakhtine [1984 : 367-368]) qui ne s’interpénètrent pas toujours.

     Ce trouble dans la communication, sur le plan narratif, est au principe de la plupart des historiettes ; au plan anthropologique, ce « défaut de communication avec autrui » (Lévi-Strauss, 1968 : 123) est constitutif du statut sociétal de Bécassine – elle est de fait condamnée à une certaine solitude ; au plan de l’imaginaire figuratif enfin, notre petite héroïne est dessinée non seulement sans bouche mais, sauf exception… sans oreilles ! Comment montrer plus visiblement qu’elle est vouée à une forme congénitale de malentendu10 ?

 

Sens dessus dessous

Ainsi, quand sa patronne lui signifie en son idiome professionnel qu’elle sera désormais « attachée » au rayon des gants, Bécassine obéissante s’en tient au seul sens littéral de l’expression imagée (Caumery et Pinchon, 1992b : 26)… Bécassine s’inscrit donc dans la riche lignée des Jean le Sot et autres benêts des contes facétieux qui alimentent la littérature folklorique orale (le fameux recueil d’Aarne et Thompson, The Types of the Folktale [198711], recense dans sa troisième partie « Jokes and anecdotes » un énorme corpus de récits comiques présents dans l’ère européenne et même au-delà). En France, le répertoire des récits facétieux qui racontent les mésaventures d’un niais est fort riche. En Bretagne même, les contes de diots sont bien connus12. L’irruption d’une diote à la ville modernise le type folklorique et le moralise (ni sexe ni scatologie), même si l’on retrouve les schèmes constitutifs d’un avatar de la figure du trickster comme nous le verrons par la suite13.

     Bécassine est apte à comprendre – si on prend la peine de le lui expliquer – le vrai sens d’une expression idiomatique. C’est ce que font Mme de Grand-Air et sa fille à propos de l’expression « ne pas faire danser l’anse du panier » par exemple (Caumery et Pinchon, 1992b : 53). À l’analyse, cette saisie d’un seul sens métaphorique est redoublée dans le même temps par le refoulement d’autres interprétations possibles, souvent sexuelles ou socialement indécentes et totalement tabouées évidemment. Le Dictionnaire érotique de Guiraud signale que danser a toujours rapport avec l’activité sexuelle (1978 : 268, 269, 270). Tout se passe comme si redresser la mauvaise compréhension purement littérale et monosémique d’une expression était le procès nécessaire et suffisant pour bloquer l’actualisation de tout autre travail du signifiant… (elle qui a pourtant « trop d’idées, plusieurs ensemble et pas pareilles » [Caumery et Pinchon, 2012 : 38]…). Voilà comment une monologie en chasse une autre et en masque une troisième.

     Dans les cas les plus fréquents, le travail interprétatif consubstantiel à toute interlocution est parasité chez Bécassine par un trouble dans l’échange linguistique. Mme Bogozier envoie sa servante au marché pour acheter des « légumes verts » (Caumery et Pinchon, 1992b : 53). Bécassine ne rapporte évidemment ni tomates, ni radis, ni carottes, ni aubergines, etc. Elle décompose le syntagme « légumes verts » en ses parties, ce qui la conduit mécaniquement à sélectionner sur l’axe paradigmatique le seul code chromatique et sensible et l’empêche, dans le même temps, de faire jouer sur l’axe syntagmatique l’antonymie « légumes verts » vs « légumes secs ». Bref, ce qui pourrait n’être qu’un jeu de mots dans une autre situation devient ici une méprise qui à la fois construit la narration et détruit le sens communément reçu par une sorte de défigement idiotopique des catégories linguistiques (elle disjoint ce qui doit être conjoint).

     Parfois cette petite (Mère) sotte à la face lunaire passe carrément les bornes en « passant au bleu » (44) stricto sensu un trousseau de lingerie fine qu’il convenait de rendre plus blanc que lys… La folie langagière (et enfantine, la « parole entravée ») de Bécassine consiste ainsi à subvertir ordre figuré et ordre littéral et à s’aventurer innocemment dans des mésalliances linguistiques d’autant plus inévitables que son souci de confiner la langue dans des usages premiers non arbitraires lui paraît irrépressiblement réaliste. Voilà comment elle conclut la mésaventure des « légumes verts » : « J’pouvais t’y deviner moi ? Les carottes et les tomates, c’est rouge, les melons, c’est jaune… et Madame m’a commandé des légumes verts. » (53)

 

Un trickster pour de rire

Bécassine renverse involontairement l’ordre des choses. On se souvient que dans l’album L’Enfance de Bécassine, elle doit momentanément arrêter l’école, elle est surmenée. Mais pour qu’elle n’oublie pas ce qu’elle a appris, l’oncle Corentin imagine un système d’apprentissage des lettres de l’alphabet : un alpha…bête, bien différent de l’abécédaire académique. Chaque bête que Bécassine mène au champ porte, accrochée autour du cou, une lettre. « C » pour le cochon, « O » pour la vache, « N » pour le dindon, « L » pour l’âne, « E » pour la petite poule blanche, etc… Mais le système produit des effets inattendus. À la fin de sa convalescence, Bécassine, nous dit le texte, « en vient à donner aux lettres des noms d’animaux et aux animaux des noms de lettres » (Caumery et Pinchon, 1992a : 39). Le « C » inscrit au tableau noir est un cochon et le cochon dans son auge est non moins logiquement – et peut-être oniriquement – identifié comme un « C ». Voilà comment Bécassine a épelé « O-N-C-L-E » devant la maîtresse ébahie. « C’est ben facile mam’zelle ! y a la vaque, l’dindon, l’cochon (sauf vot’respect), l’âne et tout au bout c’te pauv’e Blanchette qui s’est fait croquer par un renard. » (39)

     Cette propension à carnavaliser l’ordre du monde, à le détraquer aussi en fait (et à ne pas en être ni durablement ni profondément perturbée) fonde l’idiotie tolérable de la non conformiste/non conformisée Bécassine, et sans doute son attrait dans l’imaginaire des lecteurs et des lectrices. Un trickster pour (de) rire en somme14. En effet, comme dans le conte facétieux, l’héroïne de notre corpus, par sa naïveté et son innocence, dérange l’ordre du monde. Ce rôle de perturbateur la rapproche, dans une certaine mesure, de la fonction actancielle du trickster, fondamentalement ambivalent, trompeur trompé. Comme le trickster, elle tient de l’humain (c’est une jeune bretonne) et de l’animal (c’est une bécasse). Comme le trickster, Bécassine peut être qualifiée de rusée (par hasard) et de stupide (le plus souvent). Mais cette ambivalence potentielle et potentiellement subversive est bien vite résorbée par le cours de la narration. La fin du premier album, L’Enfance de Bécassine, est exemplaire à cet égard. Lors de la distribution des prix, M. Modeste-Lefranc propose de récompenser d’une pièce de dix francs l’élève qui aura la franchise de se considérer comme la moins intelligente de l’école. Après quelques instants de réflexion, Bécassine s’écrie : « Donnez-moi les dix francs, m’sieu : c’est ben connu que je suis la plus bête ! » (53) Cette reconnaissance, qui est un signe de sagesse et de folie tout ensemble, se résout ou se dissout à la satisfaction de tous semble-t-il par un acte de charité chrétienne – « heureux les simples d’esprit » – un geste tout d’intelligence du cœur, au grand dam de Marie Quillouch : « Je suis contente d’avoir les dix francs pour les donner à la pauvre mère Jannick, dont le mari a péri en mer la semaine passée et qui n’a point de pain pour ses enfants. » (52-53) Ainsi, cherchant à « bien finir », notre album – comme le roman-feuilleton que Lévi-Strauss oppose aux récits mythiques –

trouve dans la récompense des bons et le châtiment des méchants un vague équivalent de la structure close du mythe, transposé sur le plan caricatural d’un ordre moral par lequel une société qui se livre à l’histoire croit pouvoir remplacer l’ordre logico-naturel qu’elle a abandonné, à moins qu’elle n’ait été abandonnée par lui (1968 : 106)…

     D’ailleurs, pour maintenir l’ordre moral, pour que le désordre ne prenne pas un caractère trop subversif, les auteurs veillent au grain. Ils vont même jusqu’à intervenir de toute leur autorité dans la fiction, au risque de déstabiliser le jeu d’écho entre le texte et les images, comme quand Bécassine croit reconnaître dans un homme à la figure ronde, à la moustache ébouriffée, chaussé de grandes bottes et au service d’un grand seigneur qui a dans le pays des châteaux, des fermes et des moulins, le Chat Botté en personne, le féerique dans le prosaïque. Le narrateur intervient alors brutalement : « C’est tout simplement le régisseur d’un châtelain des environs. » (Caumery et Pinchon, 1992a : 55) Y croit-il lui-même au fond ?

     Il arrivera d’ailleurs dans des albums ultérieurs15 que le récit mêle les récits personnels assumés explicitement par Bécassine et les observations méta-narratives ou méta-discursives complices de Caumery, l’auteur lui-même. Dans certains albums, l’autorité auctoriale et la responsabilité du récit seront déléguées directement et entièrement à Bécassine. En 1932 par exemple, dans une planche intitulée « Le stylo passe », a lieu le passage de témoin : « Voici terminée ma tâche qui consistait à réunir à Sablefin les personnages principaux de cette histoire. Bécassine vous racontera elle-même la suite. » (Caumery et Pinchon, 1992c : 27) Et, en effet, le récit va se transformer formellement en fiction autobiographique, sous le contrôle affectueux de son créateur : « M. Caumery […] conserve le stylo pour corriger les fautes de ce que j’écris. Je préfère me servir d’un crayon […]. Je reprends donc le fil de notre histoire. Le lendemain de notre arrivée, j’ai frappé de bonne heure à la porte de Madame […]. » (28) Le récit (textuel mais aussi iconique16 parfois) se poursuit en focalisation interne, en « je ». Cette technique narrative tend bien sûr à mettre en complicité voire en fugace connivence le lecteur ou la lectrice avec le point de vue sur un monde tel qu’il est vu et vécu par l’héroïne, mais le dispositif reste parfaitement sous contrôle.

     Pour conclure, on peut dire que Bécassine est bien un personnage liminaire dans le sens que l’ethnocritique donne à cette catégorie. Sorte d’héroïne du limen, elle est constamment empêtrée dans le passage des seuils qui font grandir. En effet, elle rate les initiations sexuelles, ne devient jamais une fille à marier et reste célibataire. Elle rate les initiations professionnelles, ne devient jamais couturière par exemple. Elle rate les initiations sociales et n’arrive pas véritablement à s’acclimater au monde urbain. Elle rate les initiations langagières, prise dans un idiolecte monosémique et monologique qui n’accède que difficilement à la polysémie linguistique et aux variations sociolectales.

     Toutes ces difficultés font de Bécassine un personnage mi-enfant, mi-adulte. Et même si elle grandit en âge, elle garde un pied dans le monde de l’enfance et ne passe jamais de l’autre côté. Elle reste bloquée dans l’entre-deux, ne vieillissant jamais, vivant des aventures infinies. Mais si éloignée qu’elle soit, chacun et chacune se reconnaît en elle, car nous avons tous et toutes en nous quelque chose de Bécassine devant l’étrangeté du monde. Nous savons bien que nous ne sommes pas une Bécassine, mais quand même… si Bécassine nous était contée, nous y prendrions un plaisir extrême.

  • 1. Cet article est paru dans la collection « EthnocritiqueS » (Vinson, 2012 : 23-40).
  • 2. Quelle est la place de la presse catholique dans la deuxième moitié du XIXe siècle ? « Une consultation de l’inventaire réalisé par Alain Fourment laisse apparaître un curieux vide à ce niveau. Fondé en 1851, Le Magasin de l’Enfance Chrétienne, devenu successivement Le Nouveau Journal des enfants, titre bien neutre, puis Le Magasin de la Jeunesse Chrétienne, survit seulement jusqu’en 1856. Il faut donc attendre 1895 pour voir publié Le Noël, mensuel édité par La Maison de la Bonne Presse, qui ne disparaîtra qu’en 1937. Par ailleurs, si l’année 1904 connaît une rare explosion dans le domaine de la presse enfantine (pas moins de six titres nouveaux), ils s’avèreront d’obédience laïque. Lorsqu’en 1905 les éditions Gauthier-Languereau lancent La Semaine de Suzette, elles ne prennent donc guère de risque du point de vue commercial et comblent une lacune évidente à la fois économique et spirituelle. » (Couderc, 2005 : 22)
  • 3. Caumery, nom de plume de Maurice Languereau, est l’auteur des textes. Joseph-Porphyre Pinchon, peintre et illustrateur, est le dessinateur de Bécassine. Maurice Languereau, neveu de l’éditeur Henri Gauthier, s’associera à son oncle en 1885 pour fonder quelques années plus tard les éditions Gauthier-Languereau. Pour plus d’informations sur l’auteur et le dessinateur de Bécassine, voir Couderc, 2000 : 248-286 ; Lacassin, 1971 : 143-144 ; ou Fourment, 1987 : 211.
  • 4. Claude Grignon pose clairement le problème du point de vue hégémonique et fictionnel sur les classes subalternes, point de vue tiraillé entre la prétention de peindre le monde populaire « pour lui-même » et l’obligation de le représenter « par référence au monde supérieur dans lequel vit son public » (1989 : 212). C’est ce qu’il appelle « le coup de montreur de Huron ».
  • 5. L’« idiosyncrasie » est le comportement particulier, voire atypique, d’un individu face aux influences de divers agents extérieurs. Du grec ancien ιδιος (« idios » = « qui a un tempérament particulier »), σùν (« syn » = « avec »), et κράτος (« kratos » = « force, vigueur »). En anthropologie culturelle, on parle de syncrétisme quand il y a mélange, (con-)fusion d’éléments de plusieurs cultures ou de différents systèmes sociaux.
  • 6. Selon l’ethnologue Françoise Zonabend, qui a étudié le sujet dans un village bourguignon au siècle dernier, « tout ce que la censure sociale ne permet pas de dire directement, le sobriquet l’exprime à sa façon, sans tenir compte ni de l’ordre familial ni de l’ordre social. Car, à l’encontre du patronyme et en partie du prénom, qui restent du ressort de la parentèle, le sobriquet est l’affaire de la communauté : il est laissé à la libre création du groupe social » (1977 : 257-279).
  • 7. « Entre 1880 et 1910 en effet, on assiste à une évolution fondamentale dans la représentation de la province. Un autre système de signes se juxtapose aux précédents : la Bretagne devient dérisoire. Dérisoires les “Ma Doué Béniguet” et “Ils ont des chapeaux ronds” qui émaillent les chansons de Théodore Botrel dans les cabarets de Montmartre ; dérisoire le personnage de Bécassine qui apparaît dans La Semaine de Suzette. » (Bertho, 1980 : 45-62)
  • 8. Le cliché de la jeune femme en coiffe est très fort dans l’imaginaire du monde rural chez les lettrés du début du XIXe siècle. Voir Schweitz, 2002 : 6-96.
  • 9. Le Musée breton, à Quimper, date de 1874.
  • 10. Sur le plan purement référentiel des employées de maisons dans l’univers bourgeois, l’idéal de la « bonne » est d’être célibataire (et mieux encore sans sexe, sans désirs ni passions), muette (bonne langue ou mauvaise langue sont également prohibées) et comme sourde (à ce qu’elle entend et comprend des secrets de la maison).
  • 11. L’indexation des motifs porte sur un large corpus de contes qui proviennent des pays européens mais aussi d’autres pays, Cuba, Amérique latine, Canada, Canada français… La recension n’est pas exhaustive, tous les pays ne sont pas exploités. Voir Aarne et Thompson, 1987, et plus précisément les entrées « Stupid Man » (474-486) ; « Stories about Married Couples » (400-423) ; « Foolish Wife and her Husband » (423-431).
  • 12. Voir Sébillot, 1997, et plus particulièrement la deuxième partie « Les facéties et les bons tours » (187-189). Tous les contes ont été recueillis avant 1882. Paul Sébillot est le fondateur de la société des Traditions Populaires ainsi que de la Revue des Traditions Populaires (1886-1919) dont il fut le secrétaire général.
  • 13. Voir la section « Un trickster pour de rire » du présent chapitre.
  • 14. Il s’agit d’un être fruste et rusé, plein d’innocence et de convoitise, qui enfreint toutes les règles, commet toutes les maladresses, déclenche toutes les catastrophes et tombe dans tous les pièges, y compris ceux qu’il a tendus lui-même. Le parcours du trickster moderne (vs mythique) est celui d’un apprentissage par l’absurde, en quelque sorte comme Charlot ou Forrest Gump. Voir Bru, 2001 : 95-122 ; et Calame-Griaule, 2000 : 175-202.
  • 15. Voir par exemple Caumery et Pinchon, 1915 ; Caumery et Pinchon, 1929 ; Caumery et Pinchon, 1933 ; Caumery et Pinchon, 1935 ; Caumery et Pinchon, 1939.
  • 16. Dans une planche de l’album Bécassine pendant la guerre (1916) intitulée « Bécassine écrit ses mémoires », on voit non seulement l’héroïne éponyme littéralement rédiger le texte qui accompagne l’image – « Je mets la main à la plume pour écrire ce qui suit […]. » – mais encore l’illustrateur Pinchon indiquer en note de bas de page qu’il « s’est borné dans la plupart de ses dessins, à préciser et compléter les croquis dont Bécassine avait orné ses remarquables mémoires » (Caumery et Pinchon, 2012 : 34). Il faudrait suivre toute cette stratégie de délégation d’autorité mise en abyme (l’auteur et l’illustrateur à leur personnage éponyme, Bécassine, qui lit mal – « l’imprimé ça m’embrouille » (35) – à la fille de Mme de Grand-Air) pour percevoir comment les bêtises sont à la fois socialisées et socialisantes. Les textes et images censés illustrer l’ambition sans borne de certains personnages célèbres (Hannibal/Cannibale, etc.) (35) et qui sont mis sur le compte des histoires racontées par Mlle Yvonne sont proprement délirants (dans le style de l’Almanach Vermot toutefois), mais pas surréalistes ou subversifs.

     Le personnage de bande dessinée, Bécassine, apparaît en 1905 dans le premier numéro de La Semaine de Suzette1. Au début du siècle dernier, c’était surtout la presse pour enfants qui publiait en effet des bandes dessinées, pour éduquer en amusant… À la vérité, une fantaisie récréative bien pensante, héritière idéologique et pédagogique du lointain Magasin de l’Enfance Chrétienne2.

     Les 27 albums3 qui constituent la série complète des Bécassine proposent un ensemble de vignettes où le texte figure sagement sous des images qui se détachent nettement sur fond blanc, le plus souvent sans arrière-plan, images qui ne débordent guère de leur cadre. Bécassine est omniprésente (il y a comme une forme d’homologie esthétique et narrative avec les héros du conte traditionnel et l’enchaînement rapide d’actions centrées sur un personnage central). Dans chacun des volumes, on retrouve une organisation identique : une soixantaine de saynètes inlassablement juxtaposées les unes aux autres, dans l’unité de la page. Le choix de ce dispositif sémiotico-narratif disons « simplet » sinon simpliste confère à chaque planche une très grande lisibilité, quitte à provoquer à la première lecture un évident effet d’amusante… simplicité.

     Toutefois, à la réflexion, on considère volontiers que le monde de Bécassine constitue une sorte d’ethnographie ou de chronique illustrée de la France de l’époque, d’une France de la modernisation plus que d’une France des terroirs d’ailleurs. Une analyse plus culturelle – entre cultural studies et ethnocritique – peut y lire aussi la mise en forme spécifique à l’adresse d’un public enfantin des formes innombrables et objectives de la domination symbolique et des modes d’acculturation active et réactive dont cette drôle d’éternelle damoiselle éternellement migrante est le théâtre singulier.

     Notre Bécassine de papier est en effet plus complexe que sa représentation réductrice habituelle et que l’usage stéréotypé du mot le laisserait trop vite supposer… Certes, dans la généalogie de son prototype verbal « bécasse », l’avatar « bécassine » désigne bien une jeune fille naïve aussi drôle qu’inoffensive, une sotte en somme que l’on se doit de considérer avec amusement et condescendance. Mais Bécassine est loin d’être un « anti-héros », un « paysan du Danube » ou un « Huron »4, si l’on ose dire, même si elle participe d’un bestiaire féminin ironique et dépréciatif (« une oie blanche », « une dinde », « une bécasse »). Écoutons-la un instant s’auto-analyser : « Je suis comme ça : j’ai trop d’idées, j’en ai souvent plusieurs ensemble, et pas pareilles ; alors je fais des choses qui surprennent le monde. » (Caumery et Pinchon, 2012 : 38) Aussi faut-il éviter de tomber dans le piège d’une représentation trop lisse du récit et d’une interprétation trop obvie du personnage dont le trop plein d’idées est peut-être l’indice d’une idiosyncrasie culturelle ou d’une organisation du monde in progress5… Pour essayer d’y voir un peu clair dans ce syncrétisme bécassinien, nous nous interrogerons donc sur la manière dont cette fiction pour la jeunesse construit ce personnage devenu le type lexical et le prototype proverbial (ce qui n’est pas si fréquent !) de l’amusante et sympathique idiote.

 

Bécassine, entre coutume (sociale) et destin (personnel)

Bécassine est présentée comme engagée dans un processus classique d’initiation formelle ou informelle qui mène la petite fille de l’enfance au statut de jeune femme. Mais toutes ses mésaventures (ou « épreuves [dis-]qualifiantes ») consistent à la montrer prise dans un tourbillon de ratages successifs. C’est sur ces ratages que repose la dynamique du récit… et la mythologie de Bécassine.

     Nous analysons ces ratages que le récit désigne sous le nom de « bêtises » et qui parasitent ou entravent le processus normal de socialisation ou de conform(-is-)ation sociale comme des ratages culturels (au sens socio-anthropologique du terme). C’est particulièrement vrai pour les premiers albums – L’Enfance de Bécassine (1913), Bécassine en apprentissage (1919) – qui jouent sur ces étapes imposées mais « mal négociées » et en exploitent le détournement sur le mode comique. On le sait, Bécassine passe particulièrement mal les seuils symboliques et ses apprentissages pratiques sont toujours incomplets. Pas nuls, imparfaits. Elle apprend en vérité, mais incomplètement ; elle a toujours un temps ou un cran de retard sur les normes de référence en usage, et sur les autres (y compris les petites lectrices en train de lire son histoire, qui sont loin d’être toutes des petites filles modèles…). Elle occupe ainsi, en termes de pédagogie sociale, la fonction du contre-exemple relatif, à son corps défendant, et non de la rebelle évidemment.

     Dès l’album L’Enfance de Bécassine se mettent en place les traits constitutifs qui fixent de façon quasi définitive l’image de Bécassine : une idiote si on veut, une sotte à coup sûr et à coups répétés, mais une jeune nigaude bien sympathique aussi, aux prises avec la violence symbolique des siens et les manières de faire et les façons de dire modernes. Quelques exemples nous permettrons de préciser notre propos.

 

Une naissance qui augure mal

Tout commence par la séquence coutumière traditionnelle : naissance, premiers jours de la vie, baptême. Or l’album sème le désordre dans l’ordre des choses dès la naissance au village de notre petite héroïne. Les signes qui accompagnent sa venue au monde sont en effet autant de présages explicitement prémonitoires. Non seulement la petite « Labornez » – c’est son patronyme – voit le jour à Clocher-les-Bécasses, un bourg breton, mais elle vient au jour au moment même où sillonne le ciel « un fort passage d’oiseaux sauvages : oies, canards, bécasses » (Caumery et Pinchon, 1992a : 1, nous soulignons).

     Elle naît ainsi littéralement sous le double signe de la bécasse (le clocher et le vol) et elle advient dans le récit sous le régime parodique des naissances prosaïques (le point de vue de la culture folklorique villageoise) et non point mythiques (les signes célestes qui marquent les naissances divines, Jupiter ou Jésus). Et ce bébé rose et dodu est affublé d’un nez si petit qu’on le voit à peine, comme son patronyme (presque déjà un sobriquet) le signifie : l’identité verbale et physique tout ensemble de « Labornez », c’est bien d’être de la lignée des filles au nez borné ! Or si l’on en croit la physiognomonie populaire de Clocher-les-Bécasses, un grand nez est signe indubitable d’intelligence (virile ?). Elle manquera donc de nez… et d’esprit. Ce trait –trait de crayon et trait physique – fait partie du personnage et ne sera jamais modifié dans les nombreux albums qui suivront. C’est donc incomplète, mal finie, que la fillette Bécassine entre dans la vie et dans la fiction.

 

Un sobriquet régressif

Vient le temps du baptême qui se déroule sur les deux pages suivantes de l’album. Notre héroïne a été prénommée « Annaïck » par ses parents, le plus normalement du monde breton donc (sainte Anne est la patronne des Bretons comme chacun et chacune savait au siècle dernier). Pourtant, elle va être débaptisée et rebaptisée… En fait, le récit ne va pas s’intéresser au rite religieux du baptême qui doit consacrer le prénom, mais à une sorte de baptême parodique. On y voit s’y rejouer le rite de dénomination sur un mode profane et ludique. L’oncle Corentin, le parrain, en prévision du repas festif, a ramené de la chasse… quelques-unes de ces fameuses bécassines. Il ne peut s’empêcher de comparer le profil de sa filleule et la tête de l’oiseau pour aussitôt regretter que le nez de l’une ne soit pas comparable au bec de l’autre. Dans l’assistance, quelqu’un s’écrie « en riant » – par antiphrase – : « C’est une vraie petite bécassine » (3), et tout le monde d’applaudir. C’est ainsi qu’Annaïk Labornez change de sainte patronne et entre dans le bestiaire des surnoms populaires et moqueurs6, par la grâce d’un officiant qui est « un grand chasseur un peu original et qui a toujours le mot pour rire » (2). Voilà notre oiselle enfermée dans le bestiaire des sots et des mots, comme son lointain ancêtre Aucassin qui était innocent lui aussi, comme une oie blanche…

     La manipulation symbolique consiste ainsi à l’extraire du système culturel initial – « Annaïck Labornez » – pour la faire glisser vers le monde de l’analogie animalière… –Bécassine. Cette désinscription relative du champ de la culture et cette régression dont elle est le bec émissaire ne lui est évidemment pas imputable – elle vient de naître et renaître, aussitôt dit aussitôt fait, sous nos yeux. Comme si la bande dessinée, par la bande justement (c’est sa communauté de naissance qui est censée la débaptiser et la rebaptiser et non l’autorité auctoriale), lui réinventait un destin –nomen omen – par un coup de force qui est peut-être le symptôme de la résistance intéressée de ses pères de papier et de crayon : sa bêtise est le garant de l’esprit des lecteurs et lectrices de son récit, et de la supériorité de leurs mondes. Mais l’astuce est évidemment que ce processus joue un double jeu (y compris sur les enfants qui lisent) : est-il question d’une villageoise bretonne bornée7, forcément bornée et/ou d’une toute petite fille qui advient naturellement dans une culture particulière dont les règles sont à apprendre, bon gré mal gré ?

 

Un rite incompris

L’album propose une scène prémonitoire de la distance culturelle de Bécassine aux codes rituels urbains et modernes. Lors du mariage de la cousine Yvonne, Bécassine a beaucoup de mal à respecter les contraintes de la cérémonie : elle parle quand il faut se taire, répond à la place des mariés, bouscule les codes. Elle est peu « civilisée »… Elle passe ainsi à côté du rite des fleurs nuptiales : lorsque la mariée distribue aux jeunes filles et aux fillettes les fleurs d’orangers de son bouquet, selon l’usage, Bécassine s’amuse à saute-mouton avec son ami Joël. Quand elle revient, il n’y a plus de ces fleurs qui, dit pudiquement le texte, portent bonheur. Or, depuis le XIXe siècle, tout le monde est censé savoir que la fleur d’oranger est par excellence le symbole de la virginité et de la fécondité (Van Gennep, 1976 : 401), indispensables pour faire un mariage réussi en un mot. Mais Bécassine ne semble pas avoir accès à ce type de logique symbolique. Elle confond les signes et les choses ; elle désymbolise le langage des choses et pragmatise le langage des mots. Elle fait spontanément appel à une logique pratique et demande une orange qu’elle peut manger, ravie d’avoir fait une si bonne affaire ! Jamais là où il faut, quand il le faut, Bécassine rate ainsi son entrée dans le processus des apprentissages symboliques féminins et maternels. « La drôle de petite bonne femme », comme dit Bogozier (Caumery et Pinchon, 1992b : 60), reste et restera d’ailleurs coincée dans les marges de l’enfance et du célibat.

 

Un apprentissage professionnel manqué

Le deuxième album dans la chronologie du personnage, Bécassine en apprentissage, exploite le ratage des initiations techniques et professionnelles (ses « bévues » comme dit le texte). Cette fois encore, ce qui est mis en relief, c’est la difficulté pour le personnage à réussir les rites de passage qui « font » les filles bonnes à marier et bonnes pour le mariage et la famille. Comme les petites paysannes de son époque et de son milieu, vers l’âge de 11 ou 12 ans, Bécassine doit apprendre à gagner sa vie. Elle va donc en apprentissage à la ville, et se trouve confrontée à un triple apprentissage en fait (ou à une triple reconversion… et à ses résistances aux changements qui échappent en principe à la conscience et à la réflexion) :

  • un savoir-faire artisanal (apprendre à coudre par exemple) ;
  • une technique sociale du corps (incorporer un nouveau savoir-vivre, différent de la mode de Bretagne) ;
  • une compétence langagière enfin (s’initier aux codes verbaux de la communauté de référence).

     Formellement, Bécassine accomplit le trajet traditionnel des jeunes filles et son parcours s’inscrit dans le calendrier coutumier : « Par un beau matin d’hiver » (1), elle se rend donc à la ville voisine (Quimper) pour s’initier à la couture. Ce sera au bien nommé « Palais des dames » – dans l’atelier de Mme Quiquou. Mais notre Bécassine est littéralement déplacée dans cet univers, elle agit à contre-temps, le contre-temps d’une acculturation immédiate, exigeante et totale. Aussi, elle « empitre » (48) tout.

     Voici « Bécassine vendeuse » par exemple, une demoiselle de modes en somme. Une cliente désire un assortiment de gants : Bécassine de déballer tous les cartons de gants devant le regard ébahi et amusé de la compréhensive cliente qui rit de bon coeur – comme nous – du naïf empressement de la débutante. La couturière n’apprendra d’ailleurs presque rien à Bécassine, qui conservera la même coiffe8, ses gros bas, ses gros souliers, sa tenue immuable, sa démarche décidée et ses grandes enjambées, plus masculines que féminines. Elle reste en partie une paysanne « empaysannée » (Bourdieu et Sayad, 1964 : 141), attachée à sa culture villageoise d’origine, comme égarée jusqu’au ridicule dans un monde « dépaysanné » qui a su s’adapter à la culture urbaine. Au « Palais des dames », même si le costume breton est de rigueur pour les employées, les robes ont des couleurs élégantes, les coiffes sont raffinées. Et les demoiselles vendeuses, qui habillent les clientes à la mode de Paris, savent aussi bien parler aux baronnes aimables qu’aux bourgeoises revêches.

     Ainsi, si l’on dresse une typologie sommaire des personnages dans leur rapport avec les phénomènes de socialisation, Bécassine a une place à part, qui la situe dans la catégorie des acculturés de bonne volonté mais dont l’acculturation est toujours incomplète, en retard sur le mouvement général d’une nécessaire acculturation, loin de la domus. Or cette acculturation boiteuse est présentée comme un signe de sottise innée et d’autant plus manifeste que d’autres personnages ont parfaitement réussi le parcours dans lequel Bécassine échoue. Mme Quiquou n’est-elle pas passée du statut de marchande ambulante allant « de foires en pardons » (Caumery et Pinchon, 1992b : 10) à celui de propriétaire d’une maison de confection située dans le centre-ville de Quimper ? Elle est ainsi en position d’intermédiaire culturel (Asseo, 1981 : 627-629), car elle sait naviguer, elle, entre deux mondes : celui de la campagne et celui de la ville, celui de la tradition et celui de la modernité. Véritable transfuge, parfaitement acculturée ou biculturée, Mme Quiquou assure la continuité et l’harmonie sociale, là où Bécassine fait s’entrechoquer les cultures (et justifier la dure loi du darwinisme social).

     Aussi la vérité anthropologique des albums de Bécassine est-elle que si elle a tout à apprendre (les épisodes de l’inexpérience du monde d’Uzbekassine sont sans fin), c’est que tout est codé, même si l’arbitraire culturel et social est toujours présenté sous le sceau de l’évidence doxale. La vérité sociale et historique est que Bécassine se trouve prise continûment entre un imaginaire de la culture coutumière traditionnelle et un destin personnel exigé par la vie moderne dont elle ne maîtrisera jamais naturellement le mode d’emploi.

 

Bécassine, entre idiotie et idiotismes

Certes, les mésaventures de Bécassine reposent systématiquement sur la différence des codes culturels des « gensses de la vil » et des « gensses de la kampagne ». La fin des terroirs (Weber, 1983) exposait les jeunes filles à s’expatrier et à s’acculturer aux us et coutumes de la ville. Le décalage des habitus était tel que malgré la bonne volonté (supposée) des sujets, les connivences n’existaient pas ou guère. Au village, par exemple, l’interconnaissance locale est de règle. Aussi Bécassine s’étonne-t-elle que le patron de l’auberge à Quimper ne la reconnaisse point (Caumery et Pinchon, 1992b : 1). N’est-elle pas venue ici même, voici trois ans, un jour de marché ?! La sottise (culturelle) de Bécassine consiste bien à transporter dans l’univers urbain des rapports sociaux propres aux petites communautés traditionnelles (Poirier, 1968 : 542-547).

     L’ethnotype de Bécassine, sa folklorisation et sa muséification font d’ailleurs l’objet d’une planche. Sur le/la mode des premiers musées régionaux ou locaux d’ethnographie, le musée de Quimper9 – nous citons – « renferme une collection de figures de cire grandeur nature en costume de toutes les régions de Bretagne » (Caumery et Pichon, 1992a : 44). Clocher-les-Bécasses y est évidemment « particulièrement bien représenté » et Bécassine croît reconnaître l’oncle et la tante Quillouch, et puis la cousine Yvonne qui sont venus rejoindre l’oncle Corentin et sa nièce : « J’vas les embrasser ! », s’exclame toute ravie Bécassine (44).

     Mais les albums de Bécassine ne sont ni des traités de sociologie appliquée ni même des traités de savoir-vivre ou des vitrines de musées des traditions populaires locales. Ce sont des fictions iconiques et verbales. En fait, le rapport de Bécassine au langage des autres semble subsumer ses difficultés à passer d’une cosmologie (« une théorie collective du monde » [Descombes, 1987 : 178]) à l’autre. Elle n’est pas à l’aise dans la « rhétorique » des gens dont elle partage de gré ou de force la compagnie. Or « le signe qu’on est chez soi », c’est à la fois « qu’on parvient à se faire comprendre sans trop de problème », mais aussi qu’on « réussit à entrer dans les raisons de ses interlocuteurs sans avoir besoin de longues explications » (179). C’est ainsi que cette dissymétrie se cristallise en fait – au cœur langagier de la fable – sur l’aspect imagé des façons de parler ou des expressions idiomatiques – qui en effet sont autant de « micro-mondes » (pour reprendre la formule de Bakhtine [1984 : 367-368]) qui ne s’interpénètrent pas toujours.

     Ce trouble dans la communication, sur le plan narratif, est au principe de la plupart des historiettes ; au plan anthropologique, ce « défaut de communication avec autrui » (Lévi-Strauss, 1968 : 123) est constitutif du statut sociétal de Bécassine – elle est de fait condamnée à une certaine solitude ; au plan de l’imaginaire figuratif enfin, notre petite héroïne est dessinée non seulement sans bouche mais, sauf exception… sans oreilles ! Comment montrer plus visiblement qu’elle est vouée à une forme congénitale de malentendu10 ?

 

Sens dessus dessous

Ainsi, quand sa patronne lui signifie en son idiome professionnel qu’elle sera désormais « attachée » au rayon des gants, Bécassine obéissante s’en tient au seul sens littéral de l’expression imagée (Caumery et Pinchon, 1992b : 26)… Bécassine s’inscrit donc dans la riche lignée des Jean le Sot et autres benêts des contes facétieux qui alimentent la littérature folklorique orale (le fameux recueil d’Aarne et Thompson, The Types of the Folktale [198711], recense dans sa troisième partie « Jokes and anecdotes » un énorme corpus de récits comiques présents dans l’ère européenne et même au-delà). En France, le répertoire des récits facétieux qui racontent les mésaventures d’un niais est fort riche. En Bretagne même, les contes de diots sont bien connus12. L’irruption d’une diote à la ville modernise le type folklorique et le moralise (ni sexe ni scatologie), même si l’on retrouve les schèmes constitutifs d’un avatar de la figure du trickster comme nous le verrons par la suite13.

     Bécassine est apte à comprendre – si on prend la peine de le lui expliquer – le vrai sens d’une expression idiomatique. C’est ce que font Mme de Grand-Air et sa fille à propos de l’expression « ne pas faire danser l’anse du panier » par exemple (Caumery et Pinchon, 1992b : 53). À l’analyse, cette saisie d’un seul sens métaphorique est redoublée dans le même temps par le refoulement d’autres interprétations possibles, souvent sexuelles ou socialement indécentes et totalement tabouées évidemment. Le Dictionnaire érotique de Guiraud signale que danser a toujours rapport avec l’activité sexuelle (1978 : 268, 269, 270). Tout se passe comme si redresser la mauvaise compréhension purement littérale et monosémique d’une expression était le procès nécessaire et suffisant pour bloquer l’actualisation de tout autre travail du signifiant… (elle qui a pourtant « trop d’idées, plusieurs ensemble et pas pareilles » [Caumery et Pinchon, 2012 : 38]…). Voilà comment une monologie en chasse une autre et en masque une troisième.

     Dans les cas les plus fréquents, le travail interprétatif consubstantiel à toute interlocution est parasité chez Bécassine par un trouble dans l’échange linguistique. Mme Bogozier envoie sa servante au marché pour acheter des « légumes verts » (Caumery et Pinchon, 1992b : 53). Bécassine ne rapporte évidemment ni tomates, ni radis, ni carottes, ni aubergines, etc. Elle décompose le syntagme « légumes verts » en ses parties, ce qui la conduit mécaniquement à sélectionner sur l’axe paradigmatique le seul code chromatique et sensible et l’empêche, dans le même temps, de faire jouer sur l’axe syntagmatique l’antonymie « légumes verts » vs « légumes secs ». Bref, ce qui pourrait n’être qu’un jeu de mots dans une autre situation devient ici une méprise qui à la fois construit la narration et détruit le sens communément reçu par une sorte de défigement idiotopique des catégories linguistiques (elle disjoint ce qui doit être conjoint).

     Parfois cette petite (Mère) sotte à la face lunaire passe carrément les bornes en « passant au bleu » (44) stricto sensu un trousseau de lingerie fine qu’il convenait de rendre plus blanc que lys… La folie langagière (et enfantine, la « parole entravée ») de Bécassine consiste ainsi à subvertir ordre figuré et ordre littéral et à s’aventurer innocemment dans des mésalliances linguistiques d’autant plus inévitables que son souci de confiner la langue dans des usages premiers non arbitraires lui paraît irrépressiblement réaliste. Voilà comment elle conclut la mésaventure des « légumes verts » : « J’pouvais t’y deviner moi ? Les carottes et les tomates, c’est rouge, les melons, c’est jaune… et Madame m’a commandé des légumes verts. » (53)

 

Un trickster pour de rire

Bécassine renverse involontairement l’ordre des choses. On se souvient que dans l’album L’Enfance de Bécassine, elle doit momentanément arrêter l’école, elle est surmenée. Mais pour qu’elle n’oublie pas ce qu’elle a appris, l’oncle Corentin imagine un système d’apprentissage des lettres de l’alphabet : un alpha…bête, bien différent de l’abécédaire académique. Chaque bête que Bécassine mène au champ porte, accrochée autour du cou, une lettre. « C » pour le cochon, « O » pour la vache, « N » pour le dindon, « L » pour l’âne, « E » pour la petite poule blanche, etc… Mais le système produit des effets inattendus. À la fin de sa convalescence, Bécassine, nous dit le texte, « en vient à donner aux lettres des noms d’animaux et aux animaux des noms de lettres » (Caumery et Pinchon, 1992a : 39). Le « C » inscrit au tableau noir est un cochon et le cochon dans son auge est non moins logiquement – et peut-être oniriquement – identifié comme un « C ». Voilà comment Bécassine a épelé « O-N-C-L-E » devant la maîtresse ébahie. « C’est ben facile mam’zelle ! y a la vaque, l’dindon, l’cochon (sauf vot’respect), l’âne et tout au bout c’te pauv’e Blanchette qui s’est fait croquer par un renard. » (39)

     Cette propension à carnavaliser l’ordre du monde, à le détraquer aussi en fait (et à ne pas en être ni durablement ni profondément perturbée) fonde l’idiotie tolérable de la non conformiste/non conformisée Bécassine, et sans doute son attrait dans l’imaginaire des lecteurs et des lectrices. Un trickster pour (de) rire en somme14. En effet, comme dans le conte facétieux, l’héroïne de notre corpus, par sa naïveté et son innocence, dérange l’ordre du monde. Ce rôle de perturbateur la rapproche, dans une certaine mesure, de la fonction actancielle du trickster, fondamentalement ambivalent, trompeur trompé. Comme le trickster, elle tient de l’humain (c’est une jeune bretonne) et de l’animal (c’est une bécasse). Comme le trickster, Bécassine peut être qualifiée de rusée (par hasard) et de stupide (le plus souvent). Mais cette ambivalence potentielle et potentiellement subversive est bien vite résorbée par le cours de la narration. La fin du premier album, L’Enfance de Bécassine, est exemplaire à cet égard. Lors de la distribution des prix, M. Modeste-Lefranc propose de récompenser d’une pièce de dix francs l’élève qui aura la franchise de se considérer comme la moins intelligente de l’école. Après quelques instants de réflexion, Bécassine s’écrie : « Donnez-moi les dix francs, m’sieu : c’est ben connu que je suis la plus bête ! » (53) Cette reconnaissance, qui est un signe de sagesse et de folie tout ensemble, se résout ou se dissout à la satisfaction de tous semble-t-il par un acte de charité chrétienne – « heureux les simples d’esprit » – un geste tout d’intelligence du cœur, au grand dam de Marie Quillouch : « Je suis contente d’avoir les dix francs pour les donner à la pauvre mère Jannick, dont le mari a péri en mer la semaine passée et qui n’a point de pain pour ses enfants. » (52-53) Ainsi, cherchant à « bien finir », notre album – comme le roman-feuilleton que Lévi-Strauss oppose aux récits mythiques –

trouve dans la récompense des bons et le châtiment des méchants un vague équivalent de la structure close du mythe, transposé sur le plan caricatural d’un ordre moral par lequel une société qui se livre à l’histoire croit pouvoir remplacer l’ordre logico-naturel qu’elle a abandonné, à moins qu’elle n’ait été abandonnée par lui (1968 : 106)…

     D’ailleurs, pour maintenir l’ordre moral, pour que le désordre ne prenne pas un caractère trop subversif, les auteurs veillent au grain. Ils vont même jusqu’à intervenir de toute leur autorité dans la fiction, au risque de déstabiliser le jeu d’écho entre le texte et les images, comme quand Bécassine croit reconnaître dans un homme à la figure ronde, à la moustache ébouriffée, chaussé de grandes bottes et au service d’un grand seigneur qui a dans le pays des châteaux, des fermes et des moulins, le Chat Botté en personne, le féerique dans le prosaïque. Le narrateur intervient alors brutalement : « C’est tout simplement le régisseur d’un châtelain des environs. » (Caumery et Pinchon, 1992a : 55) Y croit-il lui-même au fond ?

     Il arrivera d’ailleurs dans des albums ultérieurs15 que le récit mêle les récits personnels assumés explicitement par Bécassine et les observations méta-narratives ou méta-discursives complices de Caumery, l’auteur lui-même. Dans certains albums, l’autorité auctoriale et la responsabilité du récit seront déléguées directement et entièrement à Bécassine. En 1932 par exemple, dans une planche intitulée « Le stylo passe », a lieu le passage de témoin : « Voici terminée ma tâche qui consistait à réunir à Sablefin les personnages principaux de cette histoire. Bécassine vous racontera elle-même la suite. » (Caumery et Pinchon, 1992c : 27) Et, en effet, le récit va se transformer formellement en fiction autobiographique, sous le contrôle affectueux de son créateur : « M. Caumery […] conserve le stylo pour corriger les fautes de ce que j’écris. Je préfère me servir d’un crayon […]. Je reprends donc le fil de notre histoire. Le lendemain de notre arrivée, j’ai frappé de bonne heure à la porte de Madame […]. » (28) Le récit (textuel mais aussi iconique16 parfois) se poursuit en focalisation interne, en « je ». Cette technique narrative tend bien sûr à mettre en complicité voire en fugace connivence le lecteur ou la lectrice avec le point de vue sur un monde tel qu’il est vu et vécu par l’héroïne, mais le dispositif reste parfaitement sous contrôle.

     Pour conclure, on peut dire que Bécassine est bien un personnage liminaire dans le sens que l’ethnocritique donne à cette catégorie. Sorte d’héroïne du limen, elle est constamment empêtrée dans le passage des seuils qui font grandir. En effet, elle rate les initiations sexuelles, ne devient jamais une fille à marier et reste célibataire. Elle rate les initiations professionnelles, ne devient jamais couturière par exemple. Elle rate les initiations sociales et n’arrive pas véritablement à s’acclimater au monde urbain. Elle rate les initiations langagières, prise dans un idiolecte monosémique et monologique qui n’accède que difficilement à la polysémie linguistique et aux variations sociolectales.

     Toutes ces difficultés font de Bécassine un personnage mi-enfant, mi-adulte. Et même si elle grandit en âge, elle garde un pied dans le monde de l’enfance et ne passe jamais de l’autre côté. Elle reste bloquée dans l’entre-deux, ne vieillissant jamais, vivant des aventures infinies. Mais si éloignée qu’elle soit, chacun et chacune se reconnaît en elle, car nous avons tous et toutes en nous quelque chose de Bécassine devant l’étrangeté du monde. Nous savons bien que nous ne sommes pas une Bécassine, mais quand même… si Bécassine nous était contée, nous y prendrions un plaisir extrême.

  • 1. Cet article est paru dans la collection « EthnocritiqueS » (Vinson, 2012 : 23-40).
  • 2. Quelle est la place de la presse catholique dans la deuxième moitié du XIXe siècle ? « Une consultation de l’inventaire réalisé par Alain Fourment laisse apparaître un curieux vide à ce niveau. Fondé en 1851, Le Magasin de l’Enfance Chrétienne, devenu successivement Le Nouveau Journal des enfants, titre bien neutre, puis Le Magasin de la Jeunesse Chrétienne, survit seulement jusqu’en 1856. Il faut donc attendre 1895 pour voir publié Le Noël, mensuel édité par La Maison de la Bonne Presse, qui ne disparaîtra qu’en 1937. Par ailleurs, si l’année 1904 connaît une rare explosion dans le domaine de la presse enfantine (pas moins de six titres nouveaux), ils s’avèreront d’obédience laïque. Lorsqu’en 1905 les éditions Gauthier-Languereau lancent La Semaine de Suzette, elles ne prennent donc guère de risque du point de vue commercial et comblent une lacune évidente à la fois économique et spirituelle. » (Couderc, 2005 : 22)
  • 3. Caumery, nom de plume de Maurice Languereau, est l’auteur des textes. Joseph-Porphyre Pinchon, peintre et illustrateur, est le dessinateur de Bécassine. Maurice Languereau, neveu de l’éditeur Henri Gauthier, s’associera à son oncle en 1885 pour fonder quelques années plus tard les éditions Gauthier-Languereau. Pour plus d’informations sur l’auteur et le dessinateur de Bécassine, voir Couderc, 2000 : 248-286 ; Lacassin, 1971 : 143-144 ; ou Fourment, 1987 : 211.
  • 4. Claude Grignon pose clairement le problème du point de vue hégémonique et fictionnel sur les classes subalternes, point de vue tiraillé entre la prétention de peindre le monde populaire « pour lui-même » et l’obligation de le représenter « par référence au monde supérieur dans lequel vit son public » (1989 : 212). C’est ce qu’il appelle « le coup de montreur de Huron ».
  • 5. L’« idiosyncrasie » est le comportement particulier, voire atypique, d’un individu face aux influences de divers agents extérieurs. Du grec ancien ιδιος (« idios » = « qui a un tempérament particulier »), σùν (« syn » = « avec »), et κράτος (« kratos » = « force, vigueur »). En anthropologie culturelle, on parle de syncrétisme quand il y a mélange, (con-)fusion d’éléments de plusieurs cultures ou de différents systèmes sociaux.
  • 6. Selon l’ethnologue Françoise Zonabend, qui a étudié le sujet dans un village bourguignon au siècle dernier, « tout ce que la censure sociale ne permet pas de dire directement, le sobriquet l’exprime à sa façon, sans tenir compte ni de l’ordre familial ni de l’ordre social. Car, à l’encontre du patronyme et en partie du prénom, qui restent du ressort de la parentèle, le sobriquet est l’affaire de la communauté : il est laissé à la libre création du groupe social » (1977 : 257-279).
  • 7. « Entre 1880 et 1910 en effet, on assiste à une évolution fondamentale dans la représentation de la province. Un autre système de signes se juxtapose aux précédents : la Bretagne devient dérisoire. Dérisoires les “Ma Doué Béniguet” et “Ils ont des chapeaux ronds” qui émaillent les chansons de Théodore Botrel dans les cabarets de Montmartre ; dérisoire le personnage de Bécassine qui apparaît dans La Semaine de Suzette. » (Bertho, 1980 : 45-62)
  • 8. Le cliché de la jeune femme en coiffe est très fort dans l’imaginaire du monde rural chez les lettrés du début du XIXe siècle. Voir Schweitz, 2002 : 6-96.
  • 9. Le Musée breton, à Quimper, date de 1874.
  • 10. Sur le plan purement référentiel des employées de maisons dans l’univers bourgeois, l’idéal de la « bonne » est d’être célibataire (et mieux encore sans sexe, sans désirs ni passions), muette (bonne langue ou mauvaise langue sont également prohibées) et comme sourde (à ce qu’elle entend et comprend des secrets de la maison).
  • 11. L’indexation des motifs porte sur un large corpus de contes qui proviennent des pays européens mais aussi d’autres pays, Cuba, Amérique latine, Canada, Canada français… La recension n’est pas exhaustive, tous les pays ne sont pas exploités. Voir Aarne et Thompson, 1987, et plus précisément les entrées « Stupid Man » (474-486) ; « Stories about Married Couples » (400-423) ; « Foolish Wife and her Husband » (423-431).
  • 12. Voir Sébillot, 1997, et plus particulièrement la deuxième partie « Les facéties et les bons tours » (187-189). Tous les contes ont été recueillis avant 1882. Paul Sébillot est le fondateur de la société des Traditions Populaires ainsi que de la Revue des Traditions Populaires (1886-1919) dont il fut le secrétaire général.
  • 13. Voir la section « Un trickster pour de rire » du présent chapitre.
  • 14. Il s’agit d’un être fruste et rusé, plein d’innocence et de convoitise, qui enfreint toutes les règles, commet toutes les maladresses, déclenche toutes les catastrophes et tombe dans tous les pièges, y compris ceux qu’il a tendus lui-même. Le parcours du trickster moderne (vs mythique) est celui d’un apprentissage par l’absurde, en quelque sorte comme Charlot ou Forrest Gump. Voir Bru, 2001 : 95-122 ; et Calame-Griaule, 2000 : 175-202.
  • 15. Voir par exemple Caumery et Pinchon, 1915 ; Caumery et Pinchon, 1929 ; Caumery et Pinchon, 1933 ; Caumery et Pinchon, 1935 ; Caumery et Pinchon, 1939.
  • 16. Dans une planche de l’album Bécassine pendant la guerre (1916) intitulée « Bécassine écrit ses mémoires », on voit non seulement l’héroïne éponyme littéralement rédiger le texte qui accompagne l’image – « Je mets la main à la plume pour écrire ce qui suit […]. » – mais encore l’illustrateur Pinchon indiquer en note de bas de page qu’il « s’est borné dans la plupart de ses dessins, à préciser et compléter les croquis dont Bécassine avait orné ses remarquables mémoires » (Caumery et Pinchon, 2012 : 34). Il faudrait suivre toute cette stratégie de délégation d’autorité mise en abyme (l’auteur et l’illustrateur à leur personnage éponyme, Bécassine, qui lit mal – « l’imprimé ça m’embrouille » (35) – à la fille de Mme de Grand-Air) pour percevoir comment les bêtises sont à la fois socialisées et socialisantes. Les textes et images censés illustrer l’ambition sans borne de certains personnages célèbres (Hannibal/Cannibale, etc.) (35) et qui sont mis sur le compte des histoires racontées par Mlle Yvonne sont proprement délirants (dans le style de l’Almanach Vermot toutefois), mais pas surréalistes ou subversifs.
Auteur·e·s

Pour citer

Pour citer

Vinson, Marie-Christine, « Bécassine ou comment on fait les bécasses », dans Ethnocritique, affiliation culturelle et littérature de jeunesse, 2024, “Ethno/lire”, https://ethnocritique.com/fr/article-dun-chapitre/31-becassine-ou-comme….

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