5. Le rite et ses réécritures
La littérature de jeunesse sollicite souvent des rites, pratiques sociales coutumières formelles ou plus ou moins informelles qu’elle se réapproprie et réécrit. Ces rites publics et collectifs – ils sont en principe partagés par une communauté culturelle – ont souvent une fonction d’intégration culturelle, bien sûr, mais tout autant de contrôle social. Repris pour la jeunesse, retravaillés, ils peuvent ainsi jouer dans les fictions un rôle punitif qui entre dans le projet éducatif des textes.
La promenade à l’envers sur l’âne. Une pratique coutumière, un motif folklorique, une scène de littérature de jeunesse
Le point de départ de cette réflexion est la découverte assez inattendue d’une illustration et d’un court texte rendant compte d’une pratique coutumière de type charivarique dans un roman pour la jeunesse du XIXe siècle. Paru en 1868 chez Hachette dans la Bibliothèque Rose, Diloy le chemineau, de la comtesse de Ségur, donne à voir et à lire une promenade à l’envers sur un âne ou « asouade », une scène rituellement organisée pour stigmatiser les maris battus par leurs femmes. Nous verrons comment le roman ségurien folklorise à l’usage des jeunes lecteurs et des jeunes lectrices cette pratique populaire. Puis, dans un texte plus contemporain (Dufour, 1998), nous nous interrogerons sur ce qu’il advient à ce rite quand il s’efface de nos mémoires aujourd’hui.
Les rites – ceux qui appartiennent au folklore oral enfantin – peuvent subir des modifications profondes quand, à leur tour, ils basculent dans la littérature de jeunesse. Et cette fois ce n’est plus la fonction du rite qui est modifiée, mais sa dimension rituelle et pragmatique. Que devient par exemple, dans les pages d’un livre, la performance privée et chantée de la berceuse, performance à corps présent ?
La berceuse, une oralité perdue ?
Les berceuses sont transmises en partie de bouche à oreille, et plus particulièrement sous une forme écrite depuis la fin du XIXe siècle. Alors qu’advient-il de la vitalité de l’oralité de la berceuse quand elle s’arraisonne à l’ordre de la littératie ? Que défait l’écrit dans la berceuse ? Il convient tout d’abord de faire l’inventaire de ce qui tombe dans la « trappe de la scription », comme dit Roland Barthes (1974), quand la berceuse orale est transcrite à l’écrit. Il faut se demander ensuite ce que devient la dimension rituelle dans une berceuse imprimée. Enfin, si la littérature de jeunesse fait une place aux berceuses sous forme de livres-CD ou d’albums, on doit s’interroger sur la nature de la nouvelle berceuse qui nous est proposée in fine.
Bibliographie
Barthes, R., « De la parole à l’écriture », La Quinzaine littéraire, no 182, 1974, p. 9-13.
Dufour, H., Charivari, Paris, Seuil, 1998.
Ségur, C. de, Diloy le chemineau, Paris, Hachette, 1895.
Pour citer
Vinson, Marie-Christine, « Le rite et ses réécritures », dans Ethnocritique, affiliation culturelle et littérature de jeunesse, « Ethno/livres », 2024, https://ethnocritique.com/5-le-rite-et-ses-reecritures/.